Splendeurs et Misères des courtisan(e)s !

Splendeurs et Misères des courtisan(e)s !

Plongez-vous dans l’univers captivant de l’excellente écrivaine Bettina Flores, une plume talentueuse qui fait son grand retour avec une chronique à la fois saisissante et émouvante.

Film narcissique réalisé par une cinéaste narcissique 

Dès l’adolescence, j’ai dévoré les romans de Balzac dont Splendeurs et Misères des courtisanes (1844) que j’ai eu la chance d’étudier plus tard à la faculté des lettres avec un enseignant fantastique qui élargissait le propos bien au-delà de l’analyse textuelle. H. de Balzac y dépeint comme dans toute La Comédie humaine, la société de la première moitié du XIXe siècle post révolutionnaire et post napoléonienne.

La bourgeoisie richissime est incarnée par le Baron de Nucingen, au portrait caricatural d’idiot sénile bien qu’habile banquier spéculateur en bourse, qui tombe amoureux fou d’Esther, ex prostituée des bas-fonds autrefois appelée La Torpille, devenue une courtisane de luxe, elle-même folle amoureuse de Lucien de Rubempré, un jeune provincial ambitieux mais sans le sou, en quête d’un beau parti.

Le film Jeanne du Barry (1h56), biopic de la dernière maîtresse de Louis XV, réalisé par Maïwenn avec Johnny Depp et la cinéaste dans les rôles principaux, me rappelle ce roman. J’ai vu passer un titre de critique qui parlait de « film narcissique réalisé par une cinéaste narcissique ». Je ne lis jamais de critiques de livre ou film avant de les avoir lus ou vus. Ensuite, je n’en ai plus besoin, je me suis fait mon opinion toute seule.

Johnny Depp qui est pourtant producteur du film n’a pas été accusé d’être « narcissique ».

Également, au risque de déplaire aux néo-féministes psycho-rigides, je ne rentrerai pas dans la polémique de l’acteur « fréquentable » ou « non fréquentable » : je ne lis pas la presse people. Je ne sais pas si Johnny Depp a été violent avec son ex femme et non violent avec son ex compagne, la mère de ses deux enfants.

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Ce que je sais, c’est que gagner ou perdre un procès, ne veut parfois rien dire en termes de justice, que ce soit dans un sens comme dans un autre. Ce qui est certain, c’est que même en ayant vieilli et grossi, il est toujours aussi séduisant jusque sur son royal lit de mort avec des pustules plein la figure pour cause de variole…

Le propos de Maïwenn est bien féministe : elle décrit sans complaisance la condition des femmes de l’époque et ne fait pas non plus l’apologie de la société de l’Ancien Régime qui serait présentée comme un modèle, contrairement au contre-sens qui peut en être fait. Ce film à la belle reconstitution historique, bien tourné et joué, décrit la société aristocratique du XVIIIe siècle une quinzaine d’années avant la Révolution.

La vertu ou le couvent

Jeanne, née d’une servante et d’un  moine, a la chance d’être prise d’affection par le maître des lieux, un riche commerçant au service duquel est sa mère. Il lui donne une éducation inimaginable pour une fille de sa condition en lui payant même une année de couvent.

Passionnée de lecture, par la suite elle sera lectrice chez une aristocrate qui s’en séparera après l’avoir surprise dans des soirées libertines avec ses fils ou ses frères.

Montée avec sa mère à Paris tel Rastignac avant l’heure, Jeanne rencontre le Comte du Barry, un libertin plus ou moins escroc, dans des lieux de prostitution. Grâce à ses relations, il lance sa carrière de courtisane de luxe qui permet de financer les dépenses fastueuses du couple.

Les clients de Jeanne sont, entre autres, le Duc de Richelieu qui s’inquiète des phases de neurasthénie du roi depuis le décès de sa maîtresse la Marquise de Pompadour. Il lui faut une favorite : ce sera Jeanne même s’il elle n’y tient pas vraiment.

Propulsée dans la chambre du roi, très vite se pose la question de faire son entrée à Versailles comme maîtresse officielle. Le souci est qu’elle est roturière et de la pire espèce, une ancienne prostituée. Il est vrai qu’à l’époque pour une fille du peuple, il n’y avait pas beaucoup d’alternative : soit on finissait servante dans une riche famille, services sexuels compris ou, si on avait la chance d’être jolie et suffisamment instruite, courtisane auprès des puissants du monde, finalement un peu la même chose…

Ministre qui pose habillée à la Une de PlayBoy

La vertu ou le couvent était un luxe que seules les filles de l’aristocratie ou de la bourgeoisie aisée pouvaient se payer. Mariée à la va vite au Comte ou plutôt à son frère, comme il l’était déjà, après avoir reçu en dédommagement une charge royale bien rémunérée, Jeanne est vendue au roi après s’être vendue à d’autres.

Une bonne partie de l’aristocratie versaillaise ne l’acceptera jamais. Deux camps s’opposent à l’époque : le camp des dévots qui vont à la messe tous les matins et le camp des libertins qui font la fête tous les soirs… Mais être libertin à l’époque n’était pas une simple posture ou une mode. C’était une démarche politique de philosophes, écrivains, artistes, aristocrates qui voulaient libérer les mœurs rigides de leur temps ou qui s‘opposaient à la monarchie. Cela n’a rien à voir avec une Ministre qui pose habillée à la Une de PlayBoy ou un Ministre aux gribouillis dilatoires ou dilatés… les deux, mauvais littérateurs, incompétents notoires et au service de la Ripou-blique des copains ou des corrompus…

À la mort du roi, chassée de Versailles, elle passe une quinzaine d’années tranquilles dans son château de Louveciennes que le roi lui avait offert jusqu’à ce que la Révolution la rattrape. Elle est dénoncée à deux reprises à tort pour trahison au Comité de Salut Public par son ancien protégé, Zamour, un esclave noir acheté enfant à la Compagnie des Indes par le roi qui lui avait donné en cadeau et qu’elle avait éduqué et affranchi.

Jugée en quelques heures. Elle finit sur l’échafaud en décembre 1793, à cinquante-trois ans, guillotinée la même année que Louis XVI et Marie-Antoinette. Pourtant, la politique ne l’a jamais intéressée contrairement à la Pompadour qui était – on peut le dire – le Premier Ministre non officiel du roi.

Voilà un beau roman et un film intéressant

Peut-on se risquer à faire un parallèle historique avec la période que nous vivons où la censure de la parole écrite comme orale, l’arrestation arbitraire, les manifestations de la faim et de la colère, la répression féroce à l’aide de fact checkers, les anciens indics de police qu’on appelait les « mouches » qui a donné les mouchards, le scientisme et la religion covidiste qui ont supplanté la science, les anciens et actuels encyclopédistes-scientifiques interdits de publication et calomniés, la police des mœurs vertueuses et bio compatibles, le fichage systématique des dissidents, leur embastillement parfois à vie (le Marquis de Sade), le passeport numérique que nous prépare l’Union Européenne, les libelles et pamphlets aux caricatures féroces en guise de tweets et posts, un Parlement inexistant tout autant qu’impuissant aujourd’hui, les courtisans versaillais ou élyséens prêts à tout pour plaire au roi etc. font rage ?

Il paraît qu’il est de bon ton de fusionner la carte vitale de citoyens-assurés avec la carte d’identité pour lutter contre la fraude sociale mais pas la carte bancaire de milliardaires-délinquants avec leur carte d’identité pour lutter contre l’évasion fiscale dans les lagons bleu azuré…

Les similitudes ne manquent pas. Combien de courtisan(e)s, combien de splendeurs et misères, en quête de prébendes hantent par les temps qui courent les palais du pouvoir à l’instar de celui de Versailles ? En tout cas, voilà un beau roman et un film intéressant qui aident à mieux comprendre la société d’hier et d’aujourd’hui.

Je finis d’écrire ces lignes et le pays s’embrase. Des contre-feux médiatiques s’allument un peu partout… Je reviendrai sur les émeutes dans ma chronique du mois d’août.

     © Bettina Flores, le 08 juillet 2023.

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