Camille Emmanuelle nous parle de son livre Cucul, publié chez VERSO
Camille Emmanuelle, scénariste et auteure de sept ouvrages, est également journaliste en presse écrite et audiovisuelle, spécialisée dans les questions de sexualité et de genre.
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INTERVIEW
Comment est née l’idée qui vous a donné envie d’écrire ce livre ?
Cela faisait un moment, une dizaine d’années, que j’avais envie de raconter une histoire autour de la dichotomie fantasmes vs réalité. J’avais en tête l’histoire d’une auteure de new romance qui voyait débarquer sur son canapé son personnage de papier, un mâle alpha, beau gosse mais déconnecté du monde réel. Mais il me manquait un élément déclencheur, un point de départ. Et puis il y a deux ans, une amie libraire m’a parlé de la dark romance (version violente de la new romance) et de son succès. J’avais mon élément déclencheur : mon héroïne – féministe- allait refuser d’écrire de la dark, et donc tuer son personnage. Qui allait donc ressusciter sur son canapé.
Parlez-nous du titre et de la genèse de ce choix. Pourquoi avoir opté pour quelque chose de volontairement trivial ?
Alors il se trouve que j’ai moi-même écrit -sous pseudo- il y a 11 ans, de la new romance, pendant quelques mois. Et quand j’en parlais autour de moi, que je devais finir un chapitre par exemple, je disais : « je bosse sur mon roman cucul ». J’aime bien ce mot, parce qu’à la fois il décrit le contenu de ces romances, souvent hyper-romantiques et à la limite de la mièvrerie, et en même temps il est suranné et tendre, comme adjectif.
Pourriez-vous nous partager les défis auxquels vous avez été confrontée lors de la création de ‘Cucul’ ? Comment avez-vous trouvé votre propre voix et surmonté les difficultés rencontrées ?
Il y a pour moi deux moments extatiques dans l’écriture : quand j’ai l’idée de ce que je veux écrire, et que j’arrive à convaincre les gens avec qui je travaille (agente, éditeur) et quand le livre paraît. Entre les deux, c’est-à-dire les longs moments d’écriture, ça peut être assez fastidieux, douloureux, car il y a sans cesse une petite voix qui te dit « mouais, pas ouf ». Mais, avec Cucul, comme c’est une comédie, j’ai pris plus de plaisir que d’habitude. Je me faisais parfois rire moi-même, ce qui est bon signe.
L’écriture se révèle parfois comme une véritable thérapie. Ce roman recèle des vérités personnelles et soulève des interrogations sur la création, la sexualité et la place des femmes dans notre société. Que souhaitiez-vous transmettre au monde à travers cette œuvre ?
Mes personnages incarnent tous, plus ou moins, une forme d’ambivalence. Ils ont tous, pardon pour l’expression, « le cul entre deux chaises ». Notamment Marie, qui est partagée entre ses convictions féministes, et son désir érotique. Et donc, s’il y a un message que je voulais faire passer, c’était : « c’est ok d’être ambivalent, d’être plein de paradoxes ». Je me méfie de l’injonction à la « pureté », notamment idéologique. Je pense qu’on est fondamentalement des êtres changeants et brinquebalants.
On ressent comme une certaine joie dans votre plume. L’écriture de ce roman a-t-elle été pour vous une forme de catharsis ?
Oui, comme je le disais précédemment, il y a de la joie, dans le fait d’écrire de la comédie. On cherche les choses qui nous font sourire, ou rire, et comment les mettre en scène dans la narration, pour que ce ne soit pas gratuit.
Votre travail journalistique sur les sexualités et les questions de genre semble nourrir votre fiction. Comment ces deux approches—journalistique et romanesque—s’enrichissent-elles mutuellement dans votre démarche créative ?
Ma formation intellectuelle de journaliste fait que je ne peux pas commencer un travail fictionnel sans faire de recherches auparavant. Pour Cucul, ces recherches se sont distillées dans le temps, sur plusieurs années. Beaucoup de lectures sur la new romance et la dark romance, des rencontres avec des lycéens et lycéennes également. Et puis, comme dans le travail journalistique, l’inspiration vient aussi du quotidien : une amie va me parler de sa nouvelle obsession pour les sourcils parfaits et le maquillage permanent, je peux en faire un article sur les nouvelles injonctions « beauté » issues des réseaux sociaux, ou bien une scène drôle dans un roman.
Comment avez-vous construit les personnages de Marie et de James Cooper ? Quels sont les traits de caractère qui vous tiennent particulièrement à cœur ?
Marie est un peu mon « moi » de 28 ans (alors parisienne, célibataire, sortant dans les bars rocks de la capitale), mais peut être en plus cash. Elle dit les choses. Notamment sur la sexualité, elle ose dire ce qu’elle aime ou pas. Physiquement, quand je l’écrivais, je pensais beaucoup à l’actrice américaine Natasha Lyonne. J’adore sa voix cassée et sa tête de « je ne me suis pas démaquillée hier soir ».
Et James… c’est marrant, il démarre assez « connard », et puis je me suis surprise à le voir évoluer, et à le trouver touchant. C’est la magie de la fiction : quand vos personnages vivent leur propre vie !
L’ironie des scènes quotidiennes, telles que la découverte de James sur un canapé Ikea, contraste avec l’univers de la romance qu’il incarne. Quelle importance accordez-vous à ces détails réalistes dans la structure de votre récit ? Que révèle, selon vous, cette autonomie sur la façon dont les récits influencent, parfois inconsciemment, les comportements humains ?
Dans la new ou la dark romance, il y a très souvent la description de lieux, d’objets, de vêtements très luxueux. Dans Captive, par exemple, dans mon souvenir, au début du roman le mec met la main de la fille sur une plaque électrique et la brûle, mais attention, juste avant on nous décrit le marbre luxueux de cette cuisine ! J’ai toujours trouvé ça un peu débile. Qu’est-ce qu’on s’en fout que les draps soient en soie, pour y faire l’amour ? Et puis ça donne une drôle d’image des femmes. Dans 365 jours, l’héroïne est prisonnière, elle déteste son geôlier millionnaire… mais quand il lui offre des robes de luxe, elle change d’avis. Il est peut-être sympa finalement. C’est la version hard de la poule de luxe, en fait. C’était important pour moi dans Cucul de déconstruire ce mythe de l’amoureux idéal, qui serait forcément pété de thunes.
Cucul semble remettre en question la banalisation de la violence dans certaines formes de fiction romantique. Comment, selon vous, la littérature peut-elle contribuer à déconstruire ces représentations problématiques ? Peut-elle évoluer pour mieux refléter la diversité des expériences humaines contemporaines ?
Bien sûr ! La littérature, mais aussi le cinéma, les séries. Un exemple très connu : la série SexEducation. J’aurais adoré la voir à 15 ans. Mais je ne me plains pas, j’ai eu accès à de la littérature érotique « classique » (Anaïs Nin, Pauline Réage, Françoise Rey, etc) qui m’a montré une grande diversité et des corps, et des désirs, et des fantasmes.
Quel est l’impact de la culture populaire sur la façon dont les jeunes générations perçoivent les dynamiques de pouvoir dans les relations amoureuses ?
Grande question ! À quel point la new/dark romance influence les esprits des jeunes générations ? On peut aussi se poser la question sur le porno gratuit en ligne. Je n’ai pas de réponse franche, tout simplement parce qu’il n’y a pas eu d’étude précise sur le sujet. Mais je dirais que le problème n’est pas tant le contenu (mettant en scène, dans la romance comme dans le porno, la domination masculine et la soumission féminine comme rapport de pouvoir majoritaire), que l’âge d’accès à ces contenus. On n’a pas le même recul à 17 ans qu’à 11 ans. Et pas le même esprit critique.
Or on sait que le lectorat rajeunit, d’année en année. Plutôt qu’en interdire l’accès (je suis contre toute forme de censure), je pense qu’il faut développer justement l’esprit critique, sur ces productions culturelles, et puis également proposer d’autres récits. C’est notre job d’adultes.
Entretien réalisé le 26 octobre 2024
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