Jean-Baptiste de Froment nous parle de son livre La bonne nouvelle, publié chez Anne Carrière.
Jean-Baptiste de Froment est normalien et agrégé de philosophie. La Bonne Nouvelle est son troisième roman.
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INTERVIEW
Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire cette histoire, qui mélange le surnaturel et le quotidien ?
J’aime mélanger les registres : comique et sérieux, sociologique et métaphysique, roman et fable. Le fait que le lecteur ne sache pas exactement à quoi il a affaire, si c’est du lard ou du cochon, me plaît. Pour moi un livre doit ouvrir des horizons, percer des brèches dans le réel.
La Bonne Nouvelle, c’est l’histoire d’une violation de sépulture dans un petit village de l’Allier. Un corps a disparu : où est-il passé ? Fait divers presque banal, au départ. Sauf que se répand la folle rumeur que « M. Paul », le défunt, est ressuscité, et qu’un véritable culte se développe autour de sa personne. Les pèlerins affluent du monde entier… Une sorte d’enquête policière s’engage, à la recherche des causes rationnelles (qui peut avoir volé le corps ? dans quel but ?). Le livre s’inscrit aussi dans tout un contexte réaliste et très contemporain : nous vivons à l’époque des rumeurs planétaires, de la post-vérité véhiculée par les réseaux sociaux, et les gens sont (à nouveau ?) prêts à croire n’importe quoi. Mais à côté de ce plan rationnel coexiste dans le roman la possibilité d’une autre explication : et si, malgré tout, Paul était vraiment ressuscité ? C’est la simultanéité de ces deux plans qui crée la tension, le suspense particulier du livre, et j’espère son intérêt.
Et ce tombeau vide, c’est le début de toutes les folies ! Comment vous est venue cette idée ?
La première image qui m’est venue avant de commencer est celle d’un petit cimetière de village sous le soleil, à la fin de l’hiver : la dalle d’une tombe est descellée, le cercueil qu’elle contient est ouvert. J’ai trouvé que c’était un début parfait de roman, la quintessence du mystère en quelque sorte. A partir de là, tout est possible, vraiment !
Cette idée, bien entendu, ne vient pas de nulle part. Il y a un précédent assez célèbre, qui s’appelle l’Évangile (la bonne nouvelle, en grec). Deux phrases merveilleuses de saint Luc sont d’ailleurs citées en exergue du roman : « Le premier jour de la semaine, à la pointe de l’aurore, elles allèrent à la tombe, portant les aromates qu’elles avaient préparés. Elles trouvèrent la pierre roulée de devant le tombeau, mais, étant entrées, elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus. » Cela pourrait être le début d’un roman policier, et c’est un peu sous cet angle que j’ai voulu aborder les choses dans mon propre texte.
Derrière ce côté un peu loufoque qui peut apparaître au premier abord, se cachent des sujets sérieux. Y avait-il une intention derrière cela ?
Je trouvais intéressant de rejouer, deux mille ans après, et dans un contexte très différent de celui de la Palestine du premier siècle, le « mystère du tombeau vide ». Que se passerait-il, en 2025, si nous étions à nouveau confrontés à la rumeur de la résurrection d’un homme ? Que reste-t-il aujourd’hui, que peut-il rester de cette croyance (en la résurrection du Christ) qui a structuré la société occidentale pendant des siècles ? L’intention sous-jacente était celle-là. Mais heureusement, très rapidement, la logique romanesque a pris le dessus : les personnages, leurs sentiments, la vie en somme. Le dispositif assez théorique que j’avais imaginé au départ (sur le dogme chrétien, son actualité ou au contraire son inactualité) s’est progressivement dissout dans l’histoire, même s’il en demeure toujours quelque chose…
Quelle est votre propre relation avec le mystère et la foi ?
J’ai eu une éducation catholique assez poussée et lorsque j’étais enfant, je me sentais pleinement croyant. Aujourd’hui, je ne pourrais plus dire cela, j’ai pris beaucoup de distance avec la religion. Mais je n’ai pas rompu avec la culture chrétienne, elle demeure pour moi une référence centrale, un horizon indépassable. Un motif d’interrogation permanent.
Hermine, c’est un sacré personnage ! Qu’est-ce qui vous a donné envie de la mettre au cœur de cette histoire un peu folle ?
Sans Hermine, il n’y aurait pas d’histoire, pas de roman. Le livre est écrit à la première personne, tout est vu à travers ses yeux. Le tombeau vide n’est véritablement intrigant, intéressant, mystérieux, que parce qu’il s’agit de celui qu’occupait son mari. Et c’est elle qui va mener l’enquête : la question n’est pas d’abord théologique ou « policière ». Elle est personnelle, existentielle : qui donc était son mari (Paul) pour qu’il lui soit arrivé une chose pareille ? Et qui est-elle elle-même, comment a-t-elle pu laisser faire, ignorer tant de choses sur Paul ? La Bonne Nouvelle, c’est aussi l’histoire d’une femme qui, à l’aube de la soixantaine, part à la recherche d’elle-même.
Vous parlez d’un « sacré personnage » : il était important pour moi d’en faire une sorte d’électron libre, de madame sans-gêne, sans aucun tabou, ne rentrant véritablement dans aucune case. Elle celle par qui le scandale arrive (notion qui joue un rôle important dans la Bible).
Pourquoi avoir planté le décor de votre histoire dans l’Allier ? Cette région a-t-elle une signification particulière pour vous ?
C’est le département où vivaient mes grands-parents paternels, j’y ai passé la plupart de mes vacances d’enfance. En un sens, l’histoire aurait pu se dérouler n’importe où ailleurs. Mais j’aurais eu du mal à l’imaginer à un autre endroit. Il me fallait un lieu avec lequel j’entretiens une relation intime pour que tous les sujets abordés dans ce livre puissent prendre du sens pour moi – et au bout du compte, j’espère, pour les lecteurs.
Parlez-nous des coulisses. Votre livre mêle suspense et spiritualité, deux genres pas si simples à marier. Comment avez-vous trouvé le bon dosage ?
C’est en effet très délicat, car comme on le disait tout à l’heure, toute la tension dramatique du livre repose sur cet équilibre. La bonne méthode, je pense, est de partir « d’en bas » – de la dimension terrestre, matérielle – pour suggérer « l’en haut », surtout pas le contraire. Il faut rester collé au réel, au tangible. Le surnaturel doit se signaler entre les lignes, sans qu’on soit jamais sûr que c’est bien lui. J’ai aussi beaucoup utilisé la technique du témoignage rapporté : des gens racontent avoir vu une chose extraordinaire, mais, bien entendu, ils peuvent mentir, avoir tout inventé…
Vous, un philosophe qui écrit des romans, c’est un peu inattendu, non ? Qu’est-ce qui vous plaît dans l’écriture romanesque, quelle marque singulière apportez-vous par rapport aux autres non-philosophes ?
Je ne prétends pas du tout être « un philosophe » au sens plein du terme, mais il est vrai que j’ai une formation dans ce domaine – la philosophie est même la seule chose que j’ai étudiée et dont je sois diplômé. Or vous avez raison, il y a un grand danger qui menace les gens de mon espèce s’essayant à la littérature : celui d’écrire des romans à thèse. Si on a une thèse à défendre, il faut écrire un traité, ou un essai. Le roman, lui, est un espace ouvert, qui ne doit selon moi être dominé par aucune idée, aucun dogme. Le lecteur est libre d’interpréter les événements qui lui sont rapportés comme il le veut, de juger les personnages comme il l’entend. Et c’est bien ainsi que j’ai voulu écrire La Bonne Nouvelle : plusieurs voix s’y expriment (même s’il y a une seule narratrice) et la fin elle-même, en apparence assez conclusive, peut se comprendre de diverses manières. Il demeure qu’une préoccupation « philosophique » est bien présente dans le livre : il y est question du Bien, du Mal, de la vie, de la mort, du caractère trompeur des apparences (et pas forcément dans le sens qu’on croit), etc. Certains chapitres contiennent même de petits exposés théologiques, plus ou moins sérieux. Tout cela est fait, non pas pour imposer une idée au lecteur, mais pour lui « donner à penser ». C’est en cela, peut-être, que ce roman demeure « philosophique ».
Qu’est-ce que vous en pensez, vous, de la religion ? Êtes-vous croyant ? Et Dieu, il existe ?
Si j’avais la réponse à ces questions, je n’aurais pas eu besoin d’écrire ce livre !
Entretien réalisé le 05 octobre 2024
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