Entretien avec Carole Zalberg

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je dansais, carole zalberg

Carole Zalberg est lauréate du Prix Littérature-monde (2014), du Festival Étonnants Voyageurs de Saint-Malo. Grand Prix SGDL du livre Jeunesse (2008).

Les différents sujets abordés dans ce roman sont : la beauté, la laideur, la quête d’acceptation, la séquestration, l’incompréhension, etc.

Pourquoi ce livre, et, pourquoi maintenant ?

Ce livre est en quelque sorte l’aboutissement, ou en tout cas un concentré de tous les autres. On y retrouve, les premiers retours de lecteurs le confirment, les sujets qui me passionnent ou me hantent : enfermement, arrachement, filiation, rapport au corps et à l’apparence… Difficile de dire pourquoi précisément maintenant. Il me semble que le suivant, mon chantier actuel, ouvre un nouveau cycle. Mais je serai peut-être encore une fois rattrapée par les voix qui m’habitent.

Dans « Je dansais », pourquoi le choix du « roman choral » ?

Pour le travail des voix, précisément. C’est à la fois un très grand plaisir d’écriture et la façon la plus sensible d’incarner les personnages, par leur musique ou celle qu’un narrateur « jouera » pour porter leur histoire.

Pourquoi avoir choisi un homme laid comme ravisseur ? La laideur est-elle synonyme de noirceur ? Un laid est-il un monstre ?

Bien sûr que non. Il faudrait d’abord définir ce qu’est un monstre. Je me méfie de ce terme qui englobe et, surtout, sort de l’humanité. Les pires des bourreaux n’en sont pas moins humains, même si cette idée nous est insupportable. Donner au ravisseur les traits d’un monstre, c’était donner accès à son humanité, justement, au récit qui le forge. Par ailleurs, un physique qui provoque du rejet, du dégoût, peut engendrer de l’amertume, voire de la haine chez celui qui les subit. C’est loin d’être systématique et ce n’est pas le propos dans « Je dansais ». Édouard agit par ce qu’il croit être de l’amour, par ce qui, à ses yeux, est bel et bien de l’amour, pas par haine. Enfermement, là encore, dans une réalité qui ne rencontre pas celle de Marie, ne la voit pas.

Que dire à ceux qui pourront être choqués par la description sympathique que vous faites d’Édouard ? Donne-t-on la parole aux kidnappeurs et aux violeurs ? Manuel Valls, en ce qui concerne la radicalisation, disait : « Il ne peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser ». L’écrivain Germaine de Staël, dans Corinne ou l’Italie (1807), a dit : « Comprendre, c’est pardonné »…

En tant qu’écrivain, je ne fais que cela, creuser, chercher sous la surface, démonter les mécanismes, les enchaînements, les déraillements. Il est évident, je crois, que je ne cautionne rien des actes d’Édouard. Tout le roman met au jour cette violence qui, si souvent, infuse le désir des hommes. Mais il ne m’appartient pas de décider si l’on doit pardonner ou non et à qui. C’est une chose intime, le pardon.

Comment réussit-on, comme vous, à parler d’un sujet si grave, sans jamais tomber dans le pathos ?

Merci pour ce constat. Plus le sujet est grave, plus le pathos est à proscrire. On est touché par la densité d’un texte, par sa justesse, pas par des effets ou des intentions appuyées. Et puis il y aurait une réelle indécence à en rajouter.

Chacun de nous a sa propre définition de la culture, et vous, comment la définissez-vous ?

La culture, pour moi, c’est tout ce que je reçois du monde et qui me compose, m’inspire, me fait avancer, souvent à mon insu. Ce n’est en tout cas pas une somme de savoirs arrêtés, que l’on pourrait exhiber à la moindre occasion. Surtout, ce n’est pas une béquille. La culture ne doit pas nous donner l’illusion de tout maîtriser. Ce serait la fin de la curiosité et de la soif d’apprendre de l’autre. Je dois avouer, par ailleurs, que j’ai une mémoire de petit poisson et n’ai, de toute façon, jamais pu compter sur des réserves de noms, de citations, d’anecdotes spirituelles pour briller en société ni pour nourrir mes livres.

Serait-il possible de nous parler de l’un de vos plus beaux moments de culture ?

Il y en a tant ! J’en citerai deux. Il y a fort longtemps, une exposition de Niki de Saint Phalle à Beaubourg, avec ma mère et en présence de l’artiste. Je devais avoir une quinzaine d’années. J’ai été très marquée par cette petite femme incandescente, dégageant une force phénoménale. Et, plus largement, j’aime que soient réunis des esprits ouverts et brillants, qu’ils échangent, s’interrogent, inventent ensemble et en public. Rien de plus stimulant que l’intelligence en action, quand elle est généreuse. 

Entretien réalisé en 2017

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