La chronique du mois de Bettina Flores : l’histoire, la diversité et les défis actuels de la Nouvelle-Calédonie, un territoire d’outre-mer français situé en Océanie, marqué par des tensions politiques et culturelles.
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Et si on s’intéressait un peu à la Nouvelle-Calédonie ?
En Nouvelle-Calédonie, le nombre d’habitants est de 270 000 dont 40 % de Kanaks, 24 % de Caldochs (origine européenne), 24 % de métis. L’archipel fait partie des territoires d’Outre-mer avec la spécificité d’être dans l’hémisphère Sud en Océanie située en mer de Corail dans l’océan pacifique, loin de la métropole, à environ 17 000 kilomètres.
Elle comporte trois provinces dont l’île principale est La Grande Terre, la capitale Nouméa dans l’archipel du Grand Nouméa. La Nouvelle-Calédonie ne fait pas partie de l’espace Schengen car c’est une région ultra périphérique de l’Union Européenne.
Je me suis toujours intéressée à la Nouvelle-Calédonie, ayant une amie de longue date qui est partie vivre à Nouméa il y a des années. Elle a tout quitté du jour au lendemain, ses parents, ses sœurs, ses grands-parents (italiens), ses amis, la France, sa région natale La Lorraine, en partie sa langue maternelle, pour vivre à l’autre bout de la planète avec un Kanak indépendantiste, un proche du leader Jean-Marie Tjibaou. Deux enfants et une quinzaine d’années plus tard, ils se sont séparés. N’empêche que cela a été une belle histoire d’amour entre eux…
Penchons-nous un peu sur l’histoire de ce territoire
Quand j’ai rencontré à l’époque à Nancy – j’étais étudiante en Lettres Modernes – son compagnon et des membres du FLNKS (Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste), je ne savais rien sur la Nouvelle-Calédonie ni même où elle se situait sur une carte… Nous étions tous d’origine et de milieux différents, des Kanaks, un Caldoch originaire de Lifou, descendant d’un bagnard, une fille de militaire en garnison à Nouméa et d’autres. Je devais être une des rares à n’avoir aucun lien avec la Nouvelle-Calédonie. Une très bonne entente régnait entre nous. Nous nous sommes pour certains retrouvés à Paris quelques années plus tard. C’est à cette époque que j’ai appris que la Nouvelle-Calédonie avait des ressources minières considérables et qu’elle pouvait être indépendante économiquement.
Le 29 mai dernier, une émeute a eu lieu en Nouvelle-Calédonie. Mais avant de revenir sur ces événements, penchons-nous un peu sur l’histoire de ce territoire.
En 1774, la population autochtone de l’archipel se situait entre 40 000 et 80 000 personnes, environ 50 000 en 1853, d’après des archéologues du XIXe siècle et actuels. Un premier déclin a eu lieu dû à des épidémies au contact de marins et missionnaires, allant jusqu’à décimer 80 à 90 % de la population dans nombre d’îles du Pacifique.
La colonisation française
Le 4 septembre 1788, l’expédition française conduite par Jean-François de La Pérouse, officier de marine français, à bord de La Boussole et de L’Astrobale, juste avant de faire naufrage, a reconnu la côte ouest de l’archipel.
En juin 1792, le contre-amiral français Antoine Bruny d’Entrecasteaux, parti en 1791 à la demande de Louis XVI à la recherche de La Pérouse, passe au large de l’île des Pins au Sud-est de La Grande Terre, reconnaît la côte ouest et se serait arrêté aux îles Loyauté. Mais, la découverte fut attribuée par la suite à l’explorateur Jules Dumont d’Urville en 1827 puis en 1840 car il fut le premier à situer les îles précisément sur une carte.
Dès les années 1820, l’archipel connaît un essor grâce à la chasse à la baleine, l’exploitation du bois de santal et d’autres ressources (nacre, coprah, holothuries, écailles de tortues marines etc.). Des navires anglo-saxons, des aventuriers (beach combers) ou négociants s’installent avec des femmes mélanésiennes et créent des comptoirs.
Vers 1797, arrivent des évangélistes et des missionnaires britanniques qui christianisent le Pacifique (London Missionary Society) puis, en 1840 des missions protestantes, chassées dans un premier temps, s’installent en 1841 aux îles Loyauté. La Société de Marie catholique arrive en 1843, créant de fortes rivalités entre les communautés religieuses. La mission Balade est aussi attaquée et chassée en 1847 par les Kanaks à l’île des Pins avant de revenir en 1851. C’est en 1848 que remonte l’évangélisation de La Grande Terre.
Les anciens communards condamnés
La colonisation française (1853-1944) sous Napoléon III cherche une terre libre de toute occupation européenne afin de fonder un établissement pénitentiaire. Proclamée colonie française à Balade le 24 septembre 1853 par le contre-amiral Auguste Febvrien-Despointes, le 25 juin 1854 les militaires français occupent le Sud-ouest de La Grande Terre dont Port-de-France est le Chef-lieu.
Une garnison est implantée dans une petite ville du nom de Nouméa, le 2 juin 1866. Le premier gouverneur, le contre-amiral Charles Gillain, nommé en 1862, met en place un bagne en trouvant des terres confiées à des détenus libérés qui ont obligation de doubler leur peine dans la colonie, tout en étant « libres » et en devant s’installer définitivement.
Le code de l’indigénat, un régime pénal administratif réservé aux sujets indigènes des territoires coloniaux de la France aux XIXe et XXe siècles, sera formalisé en 1887. La politique de cantonnement, basée sur la propriété collective sur le modèle fouriériste « réserves autochtones » est mise en place, les terres étant organisées en tribus ou chefferies puis en 1898, regroupées en grandes chefferies ou districts.
Le premier convoi pénitentiaire arrive le 5 janvier 1864 (deux cent cinquante détenus). Après la Commune de Paris (1870-1871), les anciens communards condamnés par des conseils de guerre mis en place par le gouvernement d’Adolphe Thiers, sont déportés en Nouvelle-Calédonie.
Le contexte de la Première Guerre mondiale
Une des plus célèbres est l’anarchiste révolutionnaire Louise Michel (1830-1905) qui sera condamnée à sept ans de déportation de 1873 à 1880. De retour en France, elle reprendra ses activités politiques et son militantisme.
Plus de deux mille condamnés d’Afrique du Nord, résistants algériens à l’occupation française dès 1830, sont aussi envoyés au bagne calédonien. Ce fut un apport de main-d’œuvre considérable pour construire les infrastructures du pays. Le nombre de condamnés est monté à 11 110 en 1877, les deux tiers, des Européens présents dans la colonie et en 1897 à la date de l’arrêt des convois, ils étaient encore 8 230. Les colons libres ont commencé à contester la concurrence déloyale de la main-d’œuvre des bagnards et de l’administration pénitentiaire qui s’accaparaient les meilleures terres.
La « transportation » fut interrompue en 1897 mais la déportation de prisonniers politiques a continué jusqu’en 1931. Ils étaient encore 2 300 en 1921. Entre 1870 et 1895, six cents mariages d’anciens bagnards avec des femmes de la région bordelaise condamnées par la justice, ont été célébrés au couvent de Bourail en Nouvelle-Calédonie. Ces implantations européennes ont provoqué des révoltes kanaks, telle celle de 1878 menée par le grand chef Ataï.
Des Kanaks avaient été exposés au Jardin d’acclimatation pendant l’exposition coloniale de Paris.
La découverte de nickel a amené des investisseurs comme la famille Rothschild et le développement intense de l’activité minière et métallurgique avec la Société Le Nickel (3e producteur mondial). Des travailleurs asiatiques ont été recrutés, Japonais ou Tonkins dans les mines, Javanais pour le travail agricole et la domesticité.
En 1917 dans le contexte de la Première Guerre mondiale, une grande révolte kanak a eu lieu. Une nouvelle politique indigène fut élaborée vers le milieu des années 1920 afin de constituer une élite mélanésienne assimilée à la culture républicaine, avec un enseignement public pour des enfants kanaks, fils de chefs coutumiers, créant des écoles laïques dans les réserves, développant la culture du café, du coprah par les Kanaks, des commissions municipales dans les terres coutumières.
En 1831, des Kanaks avaient été exposés au Jardin d’acclimatation pendant l’exposition coloniale de Paris.
Des incendies et pillages de maisons d’éleveurs caldoches
Pendant la Seconde Guerre mondiale, une importante base militaire arrière américaine en lutte contre le Japon, s’implante en Nouvelle-Calédonie. Cela permettra le développement considérable de routes, bâtiments etc.
Après la guerre, la France abandonne le terme de colonie et abolit le code de l’indigénat. Les Kanaks obtiennent la citoyenneté française et le droit de vote mais en trois temps : limité à deux cent soixante-sept membres de l’élite mélanésienne en 1946, élargie à 60 % des Mélanésiens en âge de voter en 1951, à toute la population majeure en 1957.
Des partis politiques créés par des missions catholique et protestante s’unissent en 1953 et dominent la vie politique jusque dans les années 1970.
Avec la loi-cadre Deferre de 1956, le territoire d’Outre-mer acquiert l’autonomie mais qui sera réduite avec la proclamation de la Ve République. Entre 1969 et 1976, près de vingt mille nouveaux immigrants entraînent l’urbanisation galopante de Nouméa.
Dans les années 1980, des tensions entre opposants contre et partisans pour l’indépendance provoquent un état d’insurrection quasi généralisée. La violence atteint son paroxysme en 1988 avec la prise d’otages de trente gendarmes à Ouvéa (du 22 avril au 5 mai 1988). Des militaires et des leaders indépendantistes sont tués dont les deux frères de J.-M. Tjibaou.
Un statut transitoire de dix ans devait amener à un référendum d’autodétermination
Des incendies et pillages de maisons d’éleveurs caldochs, des assassinats de gendarmes ont lieu. Un référendum sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie est décidé par le gouvernement Jacques Chirac, sous la présidence de François Mitterrand. Pour pouvoir voter, il fallait justifier d’une durée minimum de trois ans de résidence, insuffisant pour les Kanaks qui boycottent le référendum Pons d’autodétermination.
98,3 % sont favorables au maintien de la Nouvelle-Calédonie française. Les élections régionales en 1988 (statut Pons II) sont rejetées et boycottées activement par le FLNKS. C’est ce qui a amené aux événements de la grotte d’Ouvéa, deux jours avant le premier tour des élections présidentielles.
Quatre gendarmes ont été tués par balles, trois indépendantistes et un cinquième gendarme blessés. L’assaut a été décidé par Matignon qui a entraîné la mort de deux militaires et douze indépendantistes, ces derniers par des tirs à la tête (d’après la médecine légale).
Trois ravisseurs ont été exécutés sommairement après l’assaut, dont le chef A. Dianou, blessé et laissé sans soins, ce que contestent les militaires.
Le Premier ministre Michel Rocard est chargé d’une « mission de dialogue » qui amènera aux accords de Matignon le 26 juin 1988, avec l’amnistie générale pour les preneurs d’otages et les militaires, auteurs d’exactions ou d’exécutions sommaires.
Un statut transitoire de dix ans devait amener à un référendum d’autodétermination.
Le 4 mai 1989, Jean-Marie Tjibaou est assassiné à Ouvéa par un militant Kanak radicalisé lors de la commémoration de 1988.
Emmanuel Macron, très maladroitement a lancé un ultimatum aux indépendantistes
Une politique de rééquilibrage est mise en place avec une agence de développement de la culture kanak, des programmes de formation « 400 cadres » à l’Académie des langues kanak (2007).
La Société Minière du Sud Pacifique est vendue à la société financière de la Province Nord via les accords de Bercy en 1998. Pour la première fois, des Kanaks accèdent au métier de médecin, d’avocat mais de fortes inégalités sociales persistent.
Les accords de Nouméa du 5 mai 1998 montrent une augmentation en faveur de l’autonomie mais le référendum repousse la question de l’avenir institutionnel (indépendance ou maintien) aux années 2014 à 2018.
Le non l’emporte à 56,4 % le 4 novembre 2018. Le 4 octobre 2020, 53,26 % des électeurs ont voté non. Le 12 décembre 2021, le non l’emporte toujours, à 96 % dont les organisations indépendantistes qui avaient appelé au boycott et où moins de 44 % des électeurs se sont déplacés, contestent la légitimité.
La preuve d’un manque de diplomatie
Les émeutes de mai 2024, suite au projet de réforme électorale étendant le droit de vote aux habitants récents, majoritairement des ressortissants français, voulu par le gouvernement, ont fait neuf morts dont deux gendarmes, trois cents blessés dont cent trente-quatre gendarmes et policiers.
L’état d’urgence a été décrété sur l’archipel le 15 mai, levé le 28 mai, le couvre-feu de 18 heures à 6 heures. Emmanuel Macron, très maladroitement a lancé un ultimatum aux indépendantistes, un accord devant être trouvé avant fin juin, sinon ce sera le passage en force au Congrès pour changer la composition du corps électoral.
Il avait choisi de nommer Sonia Backès secrétaire d’État en 2022, la leader loyaliste, qui a été battue par la suite aux élections sénatoriales par un indépendantiste. De retour de Nouvelle-Calédonie, il a indiqué pouvoir lancer un référendum national en appelant tous les Français à voter sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie !
Outre, l’abstention massive qui aurait lieu, les Français de métropole ayant d’autres soucis par les temps qui courent… le maintien sera largement majoritaire. Or, qui peut mieux que les Calédoniens eux-mêmes savoir ce qu’ils veulent pour l’avenir de leur pays ?
C’est à eux d’œuvrer pour le développement économique, social, culturel et l’autonomie de leur territoire, pas aux Français de métropole.
La question calédonienne au second plan
On connaît les intérêts stratégiques militaires dans le Pacifique de la France (2e territoire maritime au monde) qui doivent être préservés de puissances étrangères qui ne demandent qu’à s’accaparer la Nouvelle-Calédonie. Or, les bureaucrates parisiens ne savent pas grand chose des territoires d’Outre-mer et de leurs populations qui ne les intéressent pas vraiment.
Le principe premier consiste à arroser d’argent le pays en achetant la paix sociale, ce qui comme on peut le constater, ne marche pas. Cet ultimatum envoyé aux indépendantistes est la preuve d’un manque de diplomatie flagrant et est une véritable provocation qui a mis le feu aux poudres sur l’archipel. Il est vrai que E. Macron a dissout le corps diplomatique français, préférant se charger des négociations tout seul…
J’apprends ce dimanche 23 que sept leaders indépendantistes dont une femme ont été arrêtés et incarcérés dans des prisons un peu partout en métropole à 17 000 kilomètres de chez eux, au mépris des droits de la défense (visites de la famille, conseil d’un avocat).
L’histoire de la déportation au bagne est inversée…, explique l’anthropologue du CNRS Benoît Trepied (France Info, 23 juin 2024, 9 h 11).
Un duel franco-français a lieu entre extrême-droite (Rassemblement National) et extrême-droite (Macronistes)…
La diplomatie française, réputée au moins depuis C. Talleyrand dont la langue de communication dans le monde jusqu’à l’entre-deux-guerres était le français, n’existe plus…
Les récentes élections européennes ont mis la question calédonienne au second plan. La dissolution de l’Assemblée Nationale décidée arbitrairement par E. Macron, renvoie les Français devant les urnes à la fin du mois.
Un duel franco-français a lieu entre extrême-droite (Rassemblement National) et extrême-droite (Macronistes)… et aussi Éric Ciotti, le chef du parti de droite Les Républicains, qui fait alliance avec le Rassemblement National.
La seule force d’opposition de gauche est La France Insoumise, si on peut parler d’opposition… quand on sait comment son leader, Jean-Luc Mélenchon et le parti dans son ensemble, ont adhéré massivement à toutes les mesures délétères Covid-19, de la même façon que le Parti Socialiste et les Verts, aux derniers scores électoraux ridicules.
À propos de ces élections législatives, je reprendrais la maxime de Talleyrand : « Ce qui est excessif, est insignifiant ».
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Et si on s’intéressait un peu à la Nouvelle-Calédonie ?
© Bettina Flores, le 22 juin 2024. Article modifié le 23 juin 2024 à 12h30.
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