GRANDE INTERVIEW - Clara Marchaud : "L’ampleur des violences est massive."

La faim et le métro

Nous sommes à Paris. Dans une station de métro. Certains visages nous amènent à imaginer la tristesse, la désorientation et la joie.

On peut apercevoir des gens qui parlent en haussant le ton. Certains en le baissant ou qui ne parlent pas du tout.

On court. Tout le monde court. Nous sommes tous pressés, les gens avancent très rapidement.

Personne ne semble avoir un peu de temps. Chacun ne regarde que ses pas.

Il ne faut surtout pas rater son métro. Il ne faut surtout pas sortir trop lentement du métro.

Et ceux qui sont à l’arrêt pour quatre minutes, dans l’attente du prochain métro, ont aussi l’air pressé…

Pour patienter, on manipule son portable, on tente de regarder les rails, on réfléchit à comment faire la cour à la belle femme ou au bel homme qui attend tout près, ou sur le quai opposé.

On dit facilement : « Vous êtes belle »,

« vous êtes beau ».

Tout près, une femme est accroupie. On ne voit pas son visage.

Elle a l’air d’avoir honte. Oui, une grande honte de faire ce qu’elle est en train de faire.

Ça se voit, ça se sent, elle a horriblement honte.

Elle évite de croiser le regard du passant, ce qui la rendrait encore plus vulnérable.

Elle est vêtue d’une grande djellaba de couleur noire, qui la couvre entièrement.

Les gens continuent leur marche. Personne ne semble s’intéresser à elle.

Pourtant, elle a l’air d’avoir froid. Il fait froid.

Chacun porte une veste, mais pas elle. Elle a l’air triste. Oui, très triste.

Elle tient une petite pancarte à la main, qui dit : « Ma fille et moi nous avons faim ».

Le message de la femme triste ne semble pas rencontrer écho au près des usagers du métro.

Je n’arrive pas à en comprendre les raisons. Je ne peux que m’imaginer être cette femme, j’imagine sa situation.

J’ai froid pour elle. J’ai faim pour elle. Je me sens sans un sou, pour elle.

Le résultat m’horrifie. Je sors de mon imaginaire et je redeviens moi.

Je vais vers les gens leur demander : «  Pourquoi est-ce que vous n’êtes pas sensible à la souffrance de cette dame ? ».

Certains refusent catégoriquement de me parler.

D’autres s’ouvrent et me disent : « On en a marre des gens comme ça, ils ont tous de grosses voitures chez eux » ;

« Je n’ai pas de sous, si vous en avez, je veux bien que vous m’en donniez aussi » ;

« Vous et elle, vous n’avez qu’à rentrer chez vous » ;

« Si je donne à tout le monde, je n’aurai plus rien moi-même » ;

« Ce que fait cette femme est illégal, en France on n’a pas le droit de mendier » ;

« Il n’est pas écrit pigeon, sur mon visage » ;

« Même les Français ont faim » ;

« Il faut déjà qu’elle commence par s’habiller comme les Français » ;

« Je ne suis pas le pape ou l’imam » ;

« Moi-même je n’en ai pas » ;

« Vous êtes son proxénète ? » ;

« Désolé, c’est juste un oubli, je le fais tout le temps » ;

« Vous êtes qui, pour me poser ce genre de questions ? ».