Alain Fleury nous parle de son livre Kavira, publié chez Les Impliqués Éditeur.
Kavira : Itinéraire d’une missionnaire congolaise retrace l’histoire extraordinaire d’une femme dévouée aux autres. Née dans un pays marqué par la pauvreté et la guerre, Kavira a su surmonter les épreuves et consacrer sa vie à aider les plus démunis.
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INTERVIEW
Parlez-nous un peu de vous. Qui est réellement Alain Fleury ?
Je m’appelle Alain Fleury, je suis né en 1954 à Chartres, où j’habite toujours. Après des études d’allemand à l’université de Tours, avec des semestres à Erlangen (RFA) et Rostock (RDA), je soutiens en 1984, sous la direction de la Professeure Rita Thalmann, ma thèse de doctorat d’État : ‘’La Croix’’ et l’ Allemagne (1930-1940), publiée en 1986 aux Éditions du Cerf.
Après plusieurs séjours en RDA* puis une année en tant que lecteur de français à l’université de Bayreuth (RFA), je suis nommé en 1987 professeur de civilisation allemande à l’université d’Orléans, où j’interviens également en Histoire contemporaine sur l’histoire de la presse. Retraité de l’enseignement depuis 2021.
Mes domaines de recherche se rapportent principalement à l’Allemagne, la Bulgarie et la RD-Congo et s’articulent surtout autour de deux axes : la presse d’opinion et les missions catholiques.
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* Le Voyage à Warnemünde, L’Harmattan, 2006 (Von Paris nach Warnemünde, Ingo Koch Verlag, 2011).
Comment avez-vous découvert l’histoire de Kavira ?
En Juin 2012, dans un petit restaurant du quartier Saint-Michel à Paris, Kavira commença à me raconter son histoire. Comment une religieuse originaire du Nord-Kivu, dans l’est de la République Démocratique du Congo, se retrouvait-elle en mission en France ? Devant son parcours plutôt singulier, j’eus aussitôt l’idée de bâtir un récit à partir d’une série d’interviews. Dix années passèrent. Nous n’avions plus repris contact. En décembre 2022, à peine terminé un livre sur l’itinéraire d’un missionnaire français qui venait de passer 48 années précisément dans le Nord-Kivu*, je décidai de reprendre contact avec Kavira. Je l’incitai alors à puiser dans ses souvenirs et à noter par écrit des anecdotes qui ont marqué sa vie, depuis son enfance jusqu’à aujourd’hui. L’idée de ce travail de mémoire la fit d’abord sourire, mais elle se prit vite au jeu. Au cours de plusieurs rencontres, attablés au fond de « La Pinte du Nord », une brasserie parisienne située à deux pas de la gare du même nom, nous avons beaucoup échangé et déroulé le film de sa vie, que j’ai trouvé riche en expériences et en couleurs.
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*Un missionnaire au Kivu, L’Harmattan, 2022.
Quelles sont les qualités principales qui définissent Kavira selon vous ?
On dit, chez les Nande, que les femmes auxquelles on a attribué le prénom de Kavira sont responsables, actives, joyeuses, débrouillardes, prêtes à rendre service, courageuses. Je retrouve assurément toutes ces qualités dans l’héroïne de mon livre. J’ai aussi été impressionné par sa persévérance, son ouverture aux autres, sa disponibilité, sa tolérance et son respect des différences. Elle a choisi d’entrer chez les Orantes de l’Assomption, une congrégation contemplative mais non cloîtrée. Rien dans son habillement ne permet de la distinguer, elle porte un simple pagne africain, elle tient à être ‘’comme les plus petits’’. Âgée aujourd’hui de 66 ans, elle pense travailler aussi longtemps qu’elle s’en sentira la force.
Qu’est-ce que signifie « renaître » pour Kavira ? Est-ce une transformation spirituelle, psychologique ?
‘’Renaître’’, c’est pour Kavira ne pas céder à la déprime, ne pas se laisser aller, c’est toujours trouver la force pour continuer. Quand elle rencontre des difficultés, quand elle traverse des épreuves, quand elle se sent humiliée, le psychologique atteint souvent le physique. Cette force de renaître, elle la trouve alors dans l’oraison, dans le dialogue silencieux avec « l’Invisible », « le Tout-Puissant », qui lui donne la force de continuer sa route, libérée et renforcée. Encore plus positive !
Parlez-nous des coulisses de la création de votre livre. Comment avez-vous sélectionné les événements et les anecdotes à inclure dans l’histoire ?
J’ai choisi d’accompagner Kavira dans toutes les étapes successives de sa vie. Depuis ce qu’on lui a raconté sur ses toutes premières années puis à partir de ses souvenirs d’enfance : joyeuse dans sa famille, turbulente avec ses copines d’école. J’ai retenu quelques scènes de la vie quotidienne en Afrique, avec de longs trajets à pied, parfois de plus de 100 kilomètres à pied. J’ai sélectionné des anecdotes en rapport avec la zaïrianisation mise en œuvre par le général-président Mobutu pendant ses études à l’école d’infirmière puis son travail à l’hôpital. Son choix d’entrer dans la vie religieuse, consécutif au décès de son père, a déterminé la suite de sa vie. Sa première mission en Côte d’Ivoire puis un premier séjour en France sont une succession de découvertes joyeuses. Ensuite viendront des temps plus durs, pendant lesquels elle connaîtra des humiliations sans comprendre ce qui lui arrive. En proie au doute, elle se remet en question et ressent alors le besoin de retourner dans son pays d’origine. Sur place, elle est révoltée par une guerre interminable qui ne dit pas son nom et dont les médias parlent si peu. Ensuite, à son retour en France, sa vie est plus sereine. J’ai choisi de relater quelques temps forts comme l’accueil en 2015 à Bonnelles de réfugiés irakiens et syriens. Ou comme ce jour de juin 2017, quand elle signa enfin un CDI en EHPAD, où elle continue aujourd’hui encore à accompagner les résidents en unité Alzheimer.
Qu’est-ce qui a motivé Kavira à travailler dans un EHPAD en région parisienne après ses expériences en Afrique ?
Depuis son enfance, Kavira est marquée par la souffrance qui est liée à des situations de dépendance chez les personnes âgées handicapées. En somme il s’agit d’une vulnérabilité qui est une pauvreté physique, psychique, morale, psychologique. Cette vulnérabilité l’invite à assister la personne dans ses gestes quotidiens, à maintenir le peu d’autonomie qui lui reste. Quand elle accompagne en unité Alzheimer ces résidents perdus dans le temps et l’espace, elle note qu’un petit mot d’encouragement, être à l’écoute de l’autre, c’est ‘’un cadeau inattendu qui fait son miracle dans la discrétion’’. En fait, ces personnes vulnérables, Kavira les aime. C’est pour cela qu’elle a choisi de travailler en EHPAD.
En Afrique c’est différent : c’est vrai que la maladie est présente, mais la pauvreté matérielle est imposée. C’est ce qui lui fait mal pour l’Afrique : les gens ont tout, mais ils n’ont pas droit de toucher à leurs biens, leur propre richesse qui en plus est naturelle. Par conséquent, ils sont condamnés à vivre dans la misère, une guerre interminable avec toutes sortes de pratiques honteuses et humiliantes tel que le viol et le pillage. ‘’Il faut détruire l’Africain pour occuper sa terre natale, c’est ça le but et la réalité aujourd’hui’’, rappelle Kavira.
Quelle partie de la vie de Kavira vous a le plus touché personnellement ? Et pourquoi ?
En 2003, à l’âge de 45 ans, Kavira « étouffe » et se sent rejetée dans sa maison de Cachan. Elle ressent le besoin de rentrer dans son Nord-Kivu natal en proie à la guerre civile, pour être enfin utile. À Beni, elle peut se dépenser sans compter, jour et nuit, traversant la ville à bord de motos-taxis (au grand dam de ses supérieures !), pour soigner et sauver les enfants dénutris, assister aussi toutes ces jeunes filles et ces femmes qui souffrent de traumatismes à la suite de viols. Rappelée à l’ordre par sa hiérarchie apparemment choquée, elle est transférée au couvent de Butembo où elle reste ensuite pratiquement enfermée pendant un an et demi. Et sa vie tourne de nouveau en rond. De retour en France, pourtant, elle peut faire valider les acquis de son expérience pour obtenir le diplôme professionnel d’aide-soignante et signe enfin un CDI en 2017, à 59 ans. Une page a été tournée. Depuis ce jour, elle accompagne en EHPAD les résidents en unité Alzheimer, ces personnes qui, malgré leurs troubles cognitifs importants, ont parfois des paroles belles et « énergétiques », qui donnent l’espérance d’une continuité de vie.
Vous avez écrit plusieurs livres sur le Congo démocratique. Quels sont vos liens avec ce pays ? Qu’est-ce qui vous ramène toujours vers ce coin du monde ?
Il y a 48 ans, mon sujet de thèse sur l’image de l’Allemagne dans le journal La Croix entre les deux guerres mondiales* m’a mis en relation avec les religieux assomptionnistes. Je me suis ensuite penché sur la fondation de leur ‘’Mission d’Orient’’ en Bulgarie**, puis sur leur tentative d’implanter leur œuvre missionnaire en Allemagne*** et enfin sur les débuts de leur aventure africaine, au Congo****. J’ajoute que me suis rendu en 2006 en RD-Congo, à Kinshasa, Goma et Bukavu, où nous sommes allés chercher notre fille adoptive.
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* ‘’La Croix’’ et l’Allemagne (1930-1940), Cerf, 1986.
** Un Collège français en Bulgarie, L’Harmattan, 2001 (traduction en bulgare, ‘LIK’, 2003).
*** La Maison de Scheidegg, L’Harmattan, 2005.
**** Congo-Nil, L’Harmattan, 2008.
Quels sont les défis et les opportunités auxquelles le Congo est confronté aujourd’hui ?
Ce pays grand comme presque quatre fois la France est manifestement victime de son sous-sol trop riche, exploité éhontément par des pays et des intérêts étrangers. Pratiquement absent des informations dans les médias, le Kivu est une région abandonnée à son sort. La guerre qui n’en finit pas semble entretenue pour que personne ne vienne voir de trop près ce qui s’y passe. La situation dramatique dans la RD-Congo, le plus grand pays officiellement francophone du monde, devrait nous interpeller et mobiliser au moins les consciences…
Entretien réalisé le 06 juillet 2024
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