Bilguissa Diallo nous parle de son livre Transhumances, publié aux Éditions Elyzad.

« L’écriture contribue à faire comprendre, à faire ressentir, à créer l’identification.»
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Bilguissa Diallo est une autrice, journaliste et entrepreneure française. Elle vit aujourd’hui en Floride, aux États-Unis d’Amérique.
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INTERVIEW
Qu’est-ce qui vous a poussée à revenir, par la fiction, sur les événements du 28 septembre 2009 à Conakry ? Un besoin de transmission, de mémoire, de réparation ?
Cet événement, lorsqu’il est arrivé, a été extrêmement choquant par sa violence et par le degré d’humiliation qu’il a imposé, notamment aux femmes qui ont été ce jour-là victimes de viol à ciel ouvert.
Étant de par mon histoire familiale, très attentive à l’histoire de la Guinée, il m’a paru important de montrer comment un traumatisme collectif créé par une décision politique pouvait avoir des conséquences énormes sur des vies bien réelles, et ce bien au-delà du territoire concerné.
À partir de ce fait local, j’ai voulu illustrer comment les histoires humaines sont reliées, comment la grande histoire s’imbrique avec les histoires personnelles.
Il me semblait important d’aborder par la fiction, et plus précisément par l’intime, les effets collatéraux de situations politiques qui découlent des décolonisations, des systèmes de prédation et donc de la déconstruction de sociétés entières.
Plus qu’un besoin de transmission, l’idée est plutôt de générer de la compréhension, de l’empathie et du lien, car mes personnages sont les représentants symboliques de gens qui existent dans la vraie vie.
Parlez-nous du choix du titre de votre livre. Comment s’est-il imposé à vous, et quelle en est la genèse ainsi que la signification profonde ?
La galerie de personnages de mon roman est marquée par l’exil. Ils ont tous quitté leur terre d’origine, ou ils sont les enfants de gens qui ont fait ce chemin. Par ailleurs, la famille principale étant peule, choisir le titre Transhumances était également un clin d’œil aux racines nomades et pastorales des Peuls (ceux de Guinée sont sédentarisés depuis le 18ème siècle, mais ils gardent un lien symbolique fort avec l’élevage, bien que bon nombre d’entre eux soient aujourd’hui plutôt commerçants).
Au final mon titre évoque l’idée du nomadisme, d’aller là où l’herbe est plus verte, de suivre son troupeau (ou sa famille), et en filigrane, de savoir être chez soi où que ce soit.
Avez-vous rencontré des survivants ou des proches de victimes du stade de Conakry pour nourrir votre récit ? Comment avez-vous travaillé cette mémoire collective ?
Non, je ne suis pas allée interroger des survivants, j’ai plutôt été lire des rapports officiels, des enquêtes réalisées sur cet événement et son déroulement précis. Je me suis renseignée sur les associations qui luttaient pour que la vérité émerge et que justice soit faite. Pour autant, le parcours de mes personnages est totalement fictif, la dimension romanesque est importante parce que le sujet fondamental n’est pas de décrire le 28 septembre 2009, c’est un prétexte pour répondre à ces questions : Comment on réagit lors d’un traumatisme politique majeur, quels ressorts de survie se mettent en place et comment la vie reprend son cours ensuite dans une société fracturée où garder l’espoir est difficile… Donc l’histoire est le fruit de mon imagination, mais j’ai veillé à ce que tout soit plausible et que ceux qui ont vécu ces événements puissent se sentir représentés, considérés.
Adama entraîne les autres dans la manifestation. Est-ce un meneur, un idéaliste, ou quelqu’un en quête de reconnaissance ?
Adama est un idéaliste passionné, un homme qui aime profondément son pays et ne parvient pas à se satisfaire de l’état dans lequel il le voit s’enliser. C’est un jeune activiste, un militant qui a fait ses études en France et a choisi de rentrer chez lui, espérant s’y construire un avenir.
Il est convaincu que son pays est plein de ressources et que ce qui le freine, c’est la prédation dont il est l’objet, le manque d’éthique de la classe politique qui le dirige et qui instaure un climat de corruption tel que cela entrave les perspectives de toute une nation.
C’est clairement un meneur, mais ce n’est pas l’ambition politique personnelle qui l’anime. Il aimerait juste pouvoir vivre et travailler dans son pays, croire en ses dirigeants et pouvoir construire son avenir sur place.
Y a-t-il une scène, un passage, qui vous a particulièrement marqué en l’écrivant, par sa difficulté ou son intensité émotionnelle ?
La scène inaugurale de mon livre est assez marquante par l’intensité de la violence qui s’y produit. Elle est malheureusement représentative de ce qui s’est réellement produit. Pour l’écrire, je me suis inspirée des descriptions publiques et témoignages des victimes, en personnalisant l’action à travers la psychologie des personnages qui la vivent, tout en veillant à ce que cela soit fidèle à la chronologie de l’événement. Ce n’est pas tant qu’elle ait été difficile à écrire, mais savoir que de vrais gens ont subi des choses équivalentes, c’est profondément troublant au final.
L’écriture peut-elle réparer ce qui nous échappe ?
Je n’ai pas la prétention de réparer des choses d’une telle ampleur, cependant l’écriture contribue à faire comprendre, à faire ressentir, à créer l’identification. Ainsi, cela peut avoir pour conséquence qu’on aborde différemment des gens qu’on aurait auparavant mis dans des cases, qui auraient été perçus selon une vision stéréotypée.
Finalement, l’exil, de manière personnelle, c’est quoi ? Avez-vous le sentiment que l’exil de vos parents vous a transmis une forme de lucidité que d’autres n’ont pas, ou au contraire ?
L’exil de mes parents et leur militantisme sont deux choses qui m’ont profondément marquée et qui m’ont quelque part été transmises.
Depuis très jeune, les thématiques liées aux migrations et leur impact sur l’identité me traversent, le besoin d’authenticité et le souci de la représentation sont également des éléments importants pour moi.
Je trouve que le parcours des exilés est très intéressant et modifie fortement les gens, bien qu’ils s’en défendent et luttent pour rester fidèles au pays qu’ils ont quitté.
J’ai par ailleurs un rapport avec le réel et la vérité historique qui découlent directement de l’expérience de mes parents, de leur soif de liberté et de justice.
De façon un peu plus personnelle, parlez-nous de la Guinée, de sa capitale, Conakry : on veut tout savoir, par exemple, ce qui nous échappe dans la compréhension de ce pays ?
La Guinée est un pays auquel je suis liée par procuration, je m’y suis finalement assez peu rendue, mais il a une place importante pour moi. Une grande partie de ma famille y vit encore, et malgré le fait que mes parents aient quitté le pays il y a très longtemps, les liens demeurent forts.
Le pays comporte quatre grandes régions, toutes assez différentes par les paysages, les langues et la culture. Je suis personnellement originaire de la région du Fouta Djalon, dans laquelle des Peuls convertis à l’Islam se sont sédentarisés et ont installé un royaume théocratique pendant près de deux siècles. Cette culture est donc très ancrée dans le pays et c’est l’ethnie majoritaire (bien que minoritaire si on réunit toutes les autres).
Conakry est une presqu’île au climat tropical assez humide, cette ville abrite un microcosme qui représente bien toutes les régions du pays. C’est une métropole qui a l’air d’avoir grandi trop vite, avec des communes de banlieue qui s’y sont rattachées récemment. Elle a été le lieu de pouvoir des régimes qui se sont succédés, depuis la colonisation jusqu’aujourd’hui.
La période post-coloniale a été compliquée, du fait de la présidence de Sékou Touré, qui a entraîné le pays dans une révolution marxiste violente et autocratique. Cela a provoqué une vague d’exil d’un million de Guinéens, et bon nombre des cadres du pays sont morts assassinés dans les geôles du camp Boiro.
C’est donc un pays assez affaibli par ce régime dont ont hérité ses successeurs, d’où les difficultés économiques et la tendance à produire des modèles de gouvernance peu démocratiques. Pour autant, cela reste un pays très attachant.
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