Sioux Berger nous parle de son livre Les Chandeliers, publié aux Éditions du Rocher.
Sioux Berger est une auteure et journaliste spécialisée en écologie et bien-être. Son nouvel ouvrage, ‘Les Chandeliers‘, reflète son expertise et sa passion pour ces sujets.
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INTERVIEW.
Parlez-nous de votre livre. D’où vous vient l’inspiration ?
J’ai toujours été très sensible à l’énergie que peut renvoyer un lieu, une maison, un quartier. Je suis toujours attristée lorsqu’une rue pleine de charme est remplacée par de hauts bâtiments anonymes. Lorsque je me promène, que ce soit à Paris, à Londres, en Italie, en Auvergne, je suis extrêmement sensible au charme des pierres, aux histoires qu’elles renvoient. Les Chandeliers sont donc nés dans mon jardin, dans les ruelles de Colombes, entre les murets de brique et les petites impasses.
Dans les Chandeliers, mon intention était aussi de montrer qu’il existe en France des quartiers peu connus, mais vivants, remplis d’âme, et qu’il est nécessaire de les protéger. Comment faire ? Se battre ? Organiser des manifestations pour faire valoir son engagement ? Ce n’est pas ma démarche. Je suis convaincue que c’est en disant la poésie d’un lieu qu’on peut le protéger.
C’est peut-être un peu utopique… pourtant, on peut rappeler que Victor Hugo a sauvé Notre Dame de Paris de la ruine en écrivant son roman. Après l’avoir lu, les parisiens ont porté un tout autre regard sur le monument qu’ils avaient négligé jusque là. D’ailleurs, la présence de cet immense écrivain plane au-dessus des Chandeliers.
Parlez-nous d’Augusta : ses passions, ses tristesses, son célibat. Donnez-nous un aperçu de sa vie.
Augusta est une vieille dame, elle n’a jamais quitté son quartier, ni sa maison. Elle est extrêmement vivante, passionnée par son métier, convaincue qu’il faut avoir confiance en l’autre et lui ouvrir sa porte, son cœur, sans avoir peur.
Mais une ombre vit en elle. L’histoire secrète qu’elle a vécue en 1941. Augusta, pétrie de culpabilité, est demeurée célibataire, un peu figée dans le temps : elle attend. Elle espère. Elle ne peut pas s’autoriser à vivre totalement puisqu’elle a le sentiment d’avoir trahi un enfant qui avait toute confiance en elle.
Entre lumière et obscurité, le parfum tisse autour d’elle un souvenir doux-amer.
Quels enseignements pouvons-nous tirer de l’histoire d’Augusta sur la manière dont le travail peut servir de source de sens et de connexion sociale, même à un âge avancé ?
J’aime beaucoup votre question, car elle me rappelle à quel point un récit, une fois qu’il est achevé, est libre de vivre avec ses lecteurs ! Je ne me suis pas du tout posé cette question en écrivant, car je pense, pour ma part, que lorsque dans le travail on se sent » à sa place », la question de la retraite n’a plus de sens. Personnellement, je ne me vois pas arrêter d’écrire à un âge quel qu’il soit. Augusta est à la fois totalement désuète, et résolument moderne. Elle travaille à son rythme, prend le temps de vivre, un peu comme les jeunes d’aujourd’hui, plus axés sur le bien-être. Et surtout, elle ne dévalorise pas ses vieux jours. Pour elle, il n’y a pas » les belles années », et puis le reste : il y a la vie, c’est tout.
Chérif Aissa, l’agent immobilier, est intrigant avec son attitude sans scrupule visant le coup du siècle. Mais quels secrets cache-t-il derrière cette ambition ?
Tous les personnages de ce récit vivent au même endroit, et pourtant ils n’ont pas les mêmes racines. Même si Chérif a très bien réussi dans son métier, au fond de lui, il cherche sa place : il occupe un appartement tout neuf qu’il n’habite pas vraiment, il déteste son quartier d’origine, il essaie de compenser ce mal-être par la réussite, mais Augusta sait peu à peu toucher son cœur à travers la carapace qu’il s’est construite. En lui ouvrant sa maison, elle lui donne l’amour de la terre. Il prend racine. Peu à peu, il s’attache au lieu. Alors qu’il voulait tout bétonner, il est le premier à défendre qu’on coupe les arbres. Quand il retrousse ses manches pour s’occuper du jardin, c’est comme si dans son cœur de petites pousses étaient en train de naître. Enfin, il se sent habiter quelque part. L’argent, peu à peu, n’a plus autant d’importance.
Comment Sandrine, poupée Corolle, parvient-elle à surmonter sa réserve et sa timidité pour s’épanouir dans son rôle d’apprentie parfumeuse ?
Sandrine cache en elle un talent inouï pour la parfumerie, mais elle l’étouffe. Augusta sait lire en elle comme elle lit en Chérif. Elle va peu à peu pousser la jeune femme vers le meilleur d’elle même : sa créativité. Sa timidité l’écrase tant qu’elle se compare aux autres, tant qu’elle travaille pour travailler, comme une automate, une gentille assistante qui aligne des cartons et tient la comptabilité. Elle envie l’audace de Chérif. Et Augusta la pousse hors de sa zone de confort en ouvrant sa porte au jeune homme. C’est d’ailleurs dans un moment de désespoir que naît le premier parfum : si la maison est vouée à disparaître, alors il faut en retenir le souvenir, l’évanescence des arômes qui flottent dans le jardin, la vie d’Augusta qui marche vers sa propre fin.
Dans chacune de ses créations, Sandrine apprend peu à peu à retenir le temps qui passe, tout en le laissant libre de flotter à sa guise. Quand elle lâche prise, elle parvient à s’exprimer avec brio.
Quelle est la scène la plus mémorable pour vous dans ce roman ?
Selon moi, la scène la plus importante du roman est celle où se croisent tous les Chandeliers : Augusta est en train de lire à haute voix le passage des Misérables au cours duquel l’évêque offre les candélabres au voleur, Jean Valjan, cette lecture a un impact fort sur le policier qui devrait arrêter la famille, à cause des chandeliers à 7 branches qu’il découvre sur la table. Mais il ne le fait pas. Il répond en écho à la voix de Victor Hugo. Pour lui, il est impossible de froisser, de salir, un tel moment de poésie.
Comment les fleurs reflètent notre vie et enseignent sur la résilience et le temps ?
Votre question est étonnante, inspirante. Les fleurs nous enseignent tant de choses si nous savons nous arrêter un instant. Une rose ne sait pas qu’elle est belle. Elle est, c’est tout. Elle savoure le plaisir d’exister. Elle ne se dit pas » demain, je serai fânée, demain, mon parfum sera envolé, ah! si seulement je pouvais demeurer ainsi ! ». Elle ne gâche pas son existence à penser à demain. Elle nous enseigne l’instant présent, avec une intensité si puissante que nous lui devons le respect le plus absolu.
Votre précédent livre, Le prix du vent, aborde le sujet des éoliennes. Pourriez-vous nous en parler ?
Le livre auquel vous faites allusion est un roman graphique qui relate l’expérience que j’ai vécue auprès des agriculteurs de France. J’ai cherché à les aider, car certains sont en souffrance face à l’industrialisation des campagnes par l’énergie verte. Je leur ai donc donné la parole, ainsi qu’aux vaches qui ont bien du mal à vivre auprès des éoliennes installées dans les prés. Ces machines transforment peu à peu les campagnes en usine, et personne ne semble s’en inquiéter. Ce livre est donc un reportage sur les problèmes sanitaires que j’ai relevés sur le terrain. Suite à cette enquête, j’ai également écrit un roman intitulé Les Pentes. L’action se situe en 2050. Les campagnes sont devenues les poubelles électriques des villes. Pour Le Prix du Vent, ainsi que pour Les Pentes, le décor est donc assez sombre, pourtant, malgré tout, il y a l’espoir. Je cherche à défendre nos régions à ma manière : en montrant la poésie des lieux, parce qu’on ne peut pas tuer ce qu’on apprend à aimer.
Entretien réalisé le 20 avril 2024
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