Martial Cavatz nous parle de son livre Les caractériels, publié chez Alma Editeur.
Martial Cavatz, né à Besançon, est diplômé en histoire économique et en sociologie. Après une carrière d’enseignant et de formateur, il est aujourd’hui responsable des ressources humaines à l’UFR SLHS de Besançon. Il anime également des rencontres littéraires au festival des littératures policières, noires et sociales de la ville.
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INTERVIEW
Pourquoi ce livre et pourquoi maintenant ?
Passé la quarantaine, on tend à se retourner sur son passé et à vouloir faire un bilan : pourquoi en suis-je là ? pourquoi n’en suis-je que là ? Probablement que ce livre peut être lu comme une sorte de lettre d’excuse que je m’écrirais pour justifier de mes lacunes. Mais, plus profondément, il y avait la volonté de parler des classes populaires sous un autre angle, qui ne soit ni misérabiliste, ni populiste, pour faire référence à l’ouvrage de Claude Grignon et Jean-Claude Passeron, Le Savant et le populaire. C’est-à-dire de ne pas les représenter comme des individus uniquement agis par les structures sociales et qui ne disposeraient d’aucune forme d’autonomie, ni de les décrire comme des personnes qui posséderaient une forme de pureté, non polluées par l’hypocrisie et l’appétit du pouvoir qui traverseraient d’autres classes sociales. Je n’occulte pas certains défauts (la violence, le racisme, l’homophobie) tout en sachant qu’ils ne sont pas le propre des classes populaires, mais je montre aussi toutes les formes de générosité, voire de solidarité, qui peuvent exister.
Parlez-nous de l’histoire précise derrière le choix du titre de votre roman.
Le narrateur est désigné comme caractériel en raison de sa violence et de ses troubles du comportement. Une partie des personnes qu’il fréquente peut être désignée ainsi, d’où l’emploi du pluriel. Cela permettait de faire un clin d’œil aux Caractères de La Bruyère, mais aussi de citer un mot qui apparaît aujourd’hui comme désuet et donc de situer le roman dans une époque bien particulière. L’institut que fréquente le personnage principal s’appelle le Centre de diagnostic, de traitement et de réadaptation sociale. Ce nom paraît aujourd’hui lui aussi très daté, d’ailleurs si l’établissement existe toujours, il porte un autre nom.
Dès les premières lignes de votre livre, vous adoptez une approche très directe et sans détour. Était-ce une décision délibérée ou plutôt une heureuse serendipity que seule la littérature réserve ?
C’est ainsi que j’avais envie de raconter les choses et c’est cette envie qui m’a poussé à écrire. Toutefois, la dureté de ce qui est décrit est atténuée par l’usage de l’humour, qui me semblait être une manière de rendre moins obscène un récit qui aurait pu sombrer dans une forme de nombrilisme avec un narrateur contant ces petites misères. Et surtout, il me paraissait important que le personnage principal ne soit pas épargné par la critique, qu’il ne dispose pas d’une supériorité morale par rapport au milieu qu’il décrit. Le narrateur est le produit de son milieu et participe au début à la violence qui règne autour de lui, ce n’est que plus tard qu’il s’en éloigne et c’est même sur ce processus que repose la trame du roman. Il aurait été facile, et surtout malhonnête, de décrire quelqu’un qui serait né en sachant spontanément ce qu’est le bien et le mal.
Votre roman présente des similitudes frappantes avec votre propre vie. Comment avez-vous concilié fiction et réalité dans votre écriture ?
De nombreux romans, et c’est encore le cas dans cette rentrée littéraire, sont d’inspiration biographique. Ce texte assume pleinement cette dimension, le narrateur porte le même prénom que l’auteur et reprend les principaux éléments de la vie de ce dernier. Je ne me suis pas amusé à appeler le personnage principal Marc au lieu de Martial, ou de déplacer l’intrigue à Briançon au lieu de Besançon. Cependant, du fait du travail d’écriture, le livre s’éloigne d’un récit classique. La volonté de construire une narration basée sur les pensées de l’enfant dans laquelle intervient par petites touches l’adulte qui écrit au présent, est déjà une forme de fiction. Qui peut prétendre se souvenir exactement de sa vision d’enfant ? Et surtout cet enfant n’aurait pas été en mesure d’écrire un livre, du moins pas comme celui-ci. Ensuite, me penser comme un personnage de fiction m’a libéré dans l’écriture, en assumant que je n’avais pas la prétention de raconter la vérité sur ma vie ou celle de mon quartier, mais d’en offrir une vision très subjective qui n’a pas la prétention d’embrasser la totalité du sujet qu’il aborde. Enfin, le livre reste ouvert sur son interprétation, l’objectif était de ne pas trop guider le lecteur et lui laisser la possibilité de lire cette histoire comme s’il s’agissait d’une fiction.
Besançon, c’est comment ? Qu’est-ce qui fait qu’elle est si chère à vos yeux ? Racontez-nous un souvenir ou une anecdote qui illustre cela.
Je ne dirais pas que Besançon est une ville chère à mon cœur, je n’ai pas ce genre de sentiment à son égard. Mon roman s’y déroule, mais l’histoire aurait très bien pu se produire ailleurs. C’est une ville où j’ai toujours vécu et où, selon moi, il fait bon vivre… Quand, bien entendu, un peu comme partout, on n’y survit pas dans la misère. Parce que dans ce cas, il est évident qu’on est moins sensible à la verdure et au calme d’une petite ville de province. Je peux juste dire que je remercie la municipalité d’avoir construit une belle médiathèque où j’ai passé les meilleurs moments de mon enfance.
Parlez-nous de l’identité et de l’appartenance : c’est quoi ? Cela existe vraiment ? Ne sont-elles pas finalement qu’une fiction ?
Très tôt la famille ou le quartier me sont apparus comme des fictions, mais c’est lié au fait que je ne me sentais pas bien, ni dans l’une, ni dans l’autre. Les percevoir ainsi a été une forme de libération, je ne m’étais pas attaché à eux, je pouvais donc les quitter sans les trahir. Cela dit, et le livre le rappelle, notre quotidien est habité de fictions qui nous aident à vivre, elles sont donc aussi utiles. Je raconte ainsi que, les adultes, dans mon environnement familial, s’inventaient des vies de délinquants de haut vol pour supporter un quotidien un peu terne.
Finalement, guérit-on vraiment des blessures de l’enfance ?
Le simple fait d’avoir ressenti le besoin d’écrire sur mon enfance est la preuve qu’on ne guérit jamais vraiment de ses blessures. Je le dis à plusieurs moments dans le roman. Il y a même une illusion qui permet de se déculpabiliser sur les conséquences de la pauvreté : à quoi bon s’inquiéter puisque certains s’en sortent et publient des livres si émouvants pour raconter leur parcours ? Tout cela laisse des traces, se ressent dans le quotidien par différentes formes de décalages, d’inadaptation, dans la difficulté à se mêler aux autres, à comprendre ce qui est attendu, etc.
À votre avis, quels sont les principaux défis et enjeux de l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap en France ? Quelles recommandations feriez-vous pour une école plus inclusive ?
Je ne suis pas un expert de cette question ne l’ayant pas travaillée sérieusement, les mieux à même de répondre, ceux donc qu’il faudrait interroger, sont les enfants, leurs familles, les enseignants et les travailleurs sociaux. Cependant, deux choses apparaissent évidentes : les classes surchargées, qui sont la règle dans l’Éducation nationale, ne favorisent pas l’inclusion et, la non-reconnaissance réelle du travail des accompagnants des élèves en situation de handicap engendre des problèmes de recrutement et se répercute sur de nombreux qui ne reçoivent pas l’aide dont ils devraient bénéficier. Comme dans d’autres secteurs, le souci dogmatique de faire des économies sacrifie les plus faibles.
Entretien réalisé le 21 septembre 2024
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