Arnaud Manas nous parle de son livre Histoire de la fausse monnaie en France, publié aux Éditions du Cerf.

« La Banque de France propose une formation gratuite à l’authentification des billets. »
– Arnaud Manas
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Docteur en histoire et en économie, chercheur associé à Paris I-Sorbonne, ancien président du congrès mondial d’Interpol consacré à la lutte contre le faux monnayage, Arnaud Manas dirige le Service du patrimoine historique et des archives de la Banque de France. Il vit à Paris.
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INTERVIEW
Pourquoi ce livre et pourquoi maintenant ?
Le sujet du faux-monnayage m’a toujours intéressé. Quand j’étais jeune, ma bande dessinée préférée était L’île noire qui est une aventure de Tintin qui enquête sur une bande internationale de faux-monnayeurs. Après, j’ai beaucoup aimé Le Cave se rebiffe, autre histoire de faussaires magnifiquement interprétée par Jean Gabin et Bernard Blier avec des dialogues d’Audiard. Ensuite, par hasard – mais est-ce vraiment le hasard –, j’ai eu la chance qu’on me demande – parce que je parlais anglais – de participer à des groupes de travail européens à Francfort sur la préparation du passage à l’euro et la lutte contre le faux-monnayage. C’est ainsi, qu’en 1997, j’ai été sollicité pour présider le congrès d’Interpol sur la contrefaçon.
En 2019, j’avais proposé aux Archives Nationales de faire une exposition sur le sujet. Puis il y eut le Covid… Heureusement, avec Marie-Françoise Limon-Bonnet et Aude Roelly nous avons pu poursuivre le projet et notre exposition « Faux et Faussaires » se tiendra du 15 octobre 2025 – 2 février 2026 au Musée des Archives Nationales.
Cette longue gestation m’a donné le temps d’approfondir mes recherches. Le sujet est très vaste ; il y a beaucoup d’études de collectionneurs ou de numismates. Ils font un travail d’érudition remarquable mais concentré sur des faux particuliers ou sur certaines périodes. C’est pourquoi, je me suis attaché à remettre en perspective l’histoire en partant des défis techniques tant du point de vue des émetteurs légaux des monnaies que des faussaires.
Par ailleurs, j’ai publié des articles de recherche sur la sonorité des monnaies fausses et authentiques dans l’European Journal of Physics, sur colorimétrie des alliages monétaires or-argent-cuivre dans le Gold Bulletin, sur la précision dans l’Antiquité de la pierre de touche pour détecter les faux dans ArcheoSciences, sur la possibilité de mordre les pièces d’or pour les authentifier dans la Revue Numismatique.
Voila pourquoi, l’Histoire de la fausse monnaie sort maintenant.
Y a-t-il eu un âge d’or de la fausse monnaie en France, ou le phénomène a-t-il été constant à travers les siècles ?
En France comme dans tous les autres pays, les périodes de trouble (guerre, révolutions, guerre civile, marchés noirs …) sont les plus propices au faux-monnayage. Dans les périodes d’incertitude monétaire et politique, la police et la justice ont d’autres priorités que la lutte contre la fausse monnaie qui est un crime sans violence ni victime apparente.
En France, les années qui ont suivi la Seconde guerre mondiale ont été particulièrement complexes avec les changements de coupures, les billets « complémentaires » imprimés par les Américains et les Anglais. Ces billets, il faut le rappeler, étaient qualifiés de fausse monnaie par le Général de Gaulle. Cependant, la situation est toujours restée sous contrôle contrairement aux États-Unis au milieu du XIXe siècle.
Pendant la période du Free Banking, n’importe qui pouvait créer une banque et imprimer des billets. Il y a eu jusqu’à 10 000 types de billets authentiques différents. C’était le paradis pour les faussaires et pour certains billets on avait plus de chance de tomber sur un faux que sur un vrai. De plus, il valait parfois accepter un faux billet d’une bonne banque qu’un vrai billet d’une mauvaise banque ! C’est à la suite de cette anarchie que le président Lincoln décida de créer l’US Secret Service, premier service fédéral américain, pour lutter contre le faux-monnayage. Ce n’est que plus tard qu’il fut chargé de la protection du président des États-Unis.
Au-delà des faits historiques, avez-vous découvert des récits qui questionnent la frontière entre légalité et illégalité dans les pratiques monétaires ?
Une de mes découvertes les plus surprenantes est l’importance dans l’Histoire du « faux-monnayage d’État ». Dès la fin du XVIIIe siècle et la création du billet, l’arme de la fausse-monnaie est employée. Les Anglais ont d’abord commencé contre les Américains avec les faux continentals ensuite contre les Français avec les faux assignats. Napoléon a répliqué en fabriquant des fausses livres sterling puis a poursuivi contre les autrichiens et les russes. L’histoire n’est pratiquement pas connue car Napoléon a quasiment réussi à faire disparaître toute trace de l’opération. Louis XVIII a eu toutes les difficultés à reconstituer l’affaire.
Par la suite, les opérations de fausse monnaie ne sont jamais véritablement arrêtées. La plus connue est celle d’Hitler qui a contrefait les billets de la Banque d’Angleterre pour noyer son économie dans l’hyperinflation. Les barbouzes du SDECE ont aussi tenté de déstabiliser la Guinée de Sékou Touré après son affront au général De Gaulle. La liste des opérations de la CIA est très longue…
Votre ouvrage met en lumière le lien étroit entre monnaie et pouvoir. Aujourd’hui, cette relation reste-t-elle aussi indiscutable, ou observe-t-on une évolution ?
La question du lien entre le pouvoir et la monnaie est fondamentale. Le pouvoir de frapper monnaie est une prérogative régalienne et une expression de la souveraineté nationale. Certains théoriciens estiment que la monnaie est une créature de l’État, voire que la création de l’État est consécutive à celle de la monnaie.
Aujourd’hui, les grandes monnaies sont mondiales. L’euro comme le dollar sont internationalement connues et utilisées. Elles constituent un instrument de pouvoir, non seulement par les financements qu’elles assurent mais aussi par l’usage des systèmes de paiement. La monnaie est au cœur de la sphère d’influence des nations. La tentation est grande d’utiliser, comme les États-Unis, le dollar pour faire pression sur leurs rivaux par l’intermédiaire de la justice. Cette instrumentalisation du droit le « lawfare » est particulièrement frappante. Le domaine de l’immunité souveraine est de plus en plus restreint avec le gel des avoirs officiels libyens ou iraniens ou la condamnation de BNP Paribas pour avoir effectué des paiements en dollars hors du territoire américain. Pourtant cette attitude risque de s’avérer contre-productive comme l’a reconnu l’ancienne secrétaire d’État au Trésor.
L’émergence des crypto-actifs (bitcoin…) érode le lien entre les États et les monnaies. Si cette évolution peut être vue comme un nouvel espace de liberté, elle n’est pas sans présenter des risques. En effet, ces actifs se veulent hors des droits nationaux et internationaux au motif que la seule loi à laquelle ils obéissent est celle du programme informatique qui les fait fonctionner (« code is law »). En dernier ressort, ils reposent sur une croyance en la toute-puissance technologique (le « solutionnisme »). Les monnaies nationales qui sont loin d’être parfaites reflètent quand même la volonté d’une communauté nationale ou de destin et de solidarité entre citoyens.
Avec la diminution progressive des paiements en espèces, la contrefaçon de billets est-elle vouée à disparaître ? Comment imaginez-vous l’évolution de la monnaie dans 30 ans ?
Il est vrai qu’on observe à la fois un tassement dans l’utilisation des espèces et une baisse de la fausse monnaie. Je pense que les deux phénomènes ne sont pas liés. D’une part, l’érosion de l’usage du billet pour les paiements découle de sa dimension physique. Le billet n’est pas adapté à internet et aux paiements instantanés à distance. En revanche, le billet est la forme de paiement la plus résiliente. Il permettrait à l’économie de fonctionner même en cas de panne généralisée des systèmes électroniques de type évènement de Carrington.
De plus, il garantit l’anonymat et l’inclusivité. On peut imaginer que la part de chaque moyen de paiement se stabilisera en fonction de ses usages et de ses coûts. En France et en Europe, le faux-monnayage demeure très limité. Il représente une proportion de 16 billets contrefaits par millions de coupures authentiques en circulation (soit 0,0016%). Cette situation résulte de l’adaptation incessante des banques centrales aux nouvelles technologies et de l’efficacité des services de police.
Face à l’essor des monnaies numériques et des systèmes décentralisés, comment l’État pourrait-il répondre aux défis posés par l’émergence de nouvelles formes de contrefaçon ?
Depuis sa création en 1800, la Banque de France a toujours mis en avant deux valeurs cardinales : la prudence et la vigilance. En matière de monnaie aussi, il faut toujours anticiper et se préparer à tous les scénarios.
Bruce Schneier, un expert mondial en cryptographie, a résumé avec humour les menaces sur le numérique et notamment sur les nouvelles cryptomonnaies par l’atterrissage des extra-terrestres. Dans un tel scénario provoqué par le contact avec une civilisation plus avancée, une découverte majeure en mathématique, l’avènement de l’ordinateur quantique ou une autre éventualité, les méthodes de chiffrement actuelles seraient rendues caduques. Les faussaires pourraient alors s’en donner à cœur joie. Dans ce scénario, le bon vieux billet de banque qui a fait ses preuves garderait toute son utilité. C’est pourquoi, il faut toujours allier prévention et répression.
Quels sont les meilleurs moyens de déjouer les faussaires et d’identifier un billet authentique ?
Un seul mot TRI : Toucher, Regarder, Incliner. Cette méthode simple à mettre en œuvre permet de s’assurer de l’authenticité des billets. La Banque de France propose une formation gratuite à l’authentification des billets ainsi qu’une formation en ligne (e-learning).
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