Pedro Correa nous parle de son livre Le Cercle des héros anonymes, publié chez VERSO.

« C’est une tâche impossible, personne ne peut changer le monde tout seul. »
– Pedro Correa
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Pedro Correa vit à Bruxelles. Diplômé de Polytechnique et docteur en sciences appliquées de l’Université de Louvain, il aide, à travers ses conférences et ses écrits, à faire évoluer les individus et la société qu’ils et elles composent vers un paradigme plus respectueux de soi, des autres et du Vivant.
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INTERVIEW
Votre roman alterne entre plusieurs points de vue et lignes temporelles. Pourquoi avoir choisi cette structure éclatée ? Était-ce une évidence ou le résultat de plusieurs essais ?
Le roman alterne en effet entre plusieurs points de vue et lignes temporelles. Et ça, pour moi, ça a été une évidence dès le début.
Parce que je pense — je suppose — que tout le monde écrit ce qu’il aimerait lire, et ce que j’aime lire et voir au cinéma et dans les séries, ce sont vraiment des histoires qui ne me prennent pas par la main, qui ne sont pas évidentes, où il y a quand même un travail à faire de la part du spectateur ou du lecteur. C’est là que je prends mon plaisir, c’est d’essayer de déchiffrer l’histoire. Lorsque je déchiffre l’histoire en même temps que je la vois et où tout est un mystère qui se résout pas à pas. C’est quelque chose qui est de plus en plus présent dans la littérature aussi, et je m’en réjouis en tout cas.
Oui, pour moi, c’était une évidence, j’avais envie que ça se passe comme ça. Parce que c’est un roman avec énormément de personnages, et le fait de jouer sur ce chapitrage par personnage, par ligne du temps, par ville, ça me permettait de faire avancer le puzzle, de faire que le lecteur puisse résoudre ce puzzle avec moi en temps réel, au fur et à mesure.
David est un personnage complexe, en fuite autant vis-à-vis du monde que de lui-même. Qu’est-ce qui l’anime profondément, selon vous ?
Ce personnage un peu plus central que les autres incarne l’archétype du héros. Et comme pour tous les archétypes de héros, une des caractéristiques est celle de porter une mission et donc un poids.
David incarne ce qu’énormément de personnes ressentent aujourd’hui, à savoir que le monde va mal, que l’on aimerait faire le maximum et on ne sait pas si ce que l’on fait est suffisant. Il aimerait, à lui tout seul, changer le monde, mais force est de constater qu’il ne peut pas y arriver seul. C’est une tâche impossible, personne ne peut changer le monde tout seul. De là cette angoisse existentielle qu’il ressent. Mais ce qu’il veut vraiment, ce qui l’anime, c’est de vouloir changer le monde et de trouver sa place.
Une idée que j’essaie aussi de transmettre dans le livre, c’est que nous essayons tous de trouver notre place, changer le monde, mais que ça peut être joyeux.
L ’homme chargé de traquer Jonathan est-il si différent de sa proie ? Comment avez-vous travaillé cette ambiguïté morale ?
Alors concernant Éric et David, sont-ils différents ? C’est une très bonne question. Ma femme me disait en lisant le livre, que je rendais cet homme ignoble, dénué de toute empathie, que je le rendais attachant, parce que je m’y attachais moi-même. Je trouvais ça attachant quelqu’un qui, comme David, veut faire le maximum, veut tout donner de sa vie pour un objectif. La différence, c’est que David, son objectif, à mes yeux, est louable, c’est de faire en sorte que le monde soit plus juste, plus vivable. Que la nature soit sauvée. Enfin, en tout cas, qu’elle ne périclite pas comme elle est en train de le faire maintenant.
Alors que le langage et ses tics de langage, ainsi que les objectifs d’Éric, sont ceux de la start-up nation. C’est quelqu’un qui veut absolument par tous les moyens que son entreprise soit solvable, progresse, par tous les moyens. Sa fin justifie tous ses moyens et en plus il n’a aucune empathie. Ils ont des points communs. Par contre, le point qui les sépare de façon diamétrale, c’est que là où David est hypersensible et humaniste, Éric, c’est tout l’inverse. Il n’a aucune sensibilité, aucune empathie et c’est le bras armé d’un système.
Pourquoi avoir intégré une romance dans un récit d’espionnage et de dénonciation ? Pourquoi est-elle importante ?
Je ne sais pas si j’aurais dit ça comme ça. Disons que l’amour fait partie de la vie. Et puis c’est un livre qui traite de nos armes face aux ténèbres, l’amour, le lien, l’amitié, la fraternité, la solidarité. Mais surtout c’était assez naturel. Je suis tombé amoureux des deux personnages, et ça m’a paru évident qu’ils allaient ressentir une attirance implacable. Ils sont tous les deux merveilleux, ils sont tous les deux là pour changer le monde. Donc pour moi, c’était une évidence, une relation tout à fait naturelle, oui.
Votre livre interroge notre capacité à changer le monde sans se corrompre : est-ce une utopie ou un objectif atteignable ? Comment trouver l’équilibre entre nos idéaux et les compromis nécessaires ?
J’y ai un peu répondu en évoquant David et ce poids qu’il ressent. L’objectif est de faire de notre mieux. Ce n’est pas du tout de faire cela seul. C’est vraiment de trouver cet équilibre, faire tout ce qui est en notre pouvoir tout en gardant la joie et le lien. Le personnage du professeur périclite dans une dépression profonde car il a trop donné, sans garder le lien. David est également à deux doigts de sombrer. Et c’est là que le véritable cercle des héros apparaît, qui n’est plus celui que l’on pensait. Ce n’est pas celui de leur organisation du cheval de Troie, mais un cercle beaucoup plus large, celui de toutes les personnes qui peuvent se joindre à la cause. C’est lorsqu’ils se réunissent sous une forme de tribu qu’ils peuvent enfin mener à bien leur mission dans la joie. Et c’est un peu ça, le message.
Comment percevez-vous les lanceurs d’alerte d’aujourd’hui ?
Les lanceurs d’alerte sont, à mon avis, les véritables héros. Il y en a beaucoup plus que ce que l’on imagine, parce que lorsque l’on parle de lanceurs d’alerte, on pense à des gens comme Snowden, comme Assange, qui ont dévoilé des dossiers secrets, comme le personnage de Jonathan à New York, mais il y en a beaucoup plus, selon moi.
À mon sens, lorsque l’on parle de lanceurs d’alerte, il faut englober toutes ces personnes qui, aujourd’hui, disent que le roi est nu, qui disent que ce système ne fonctionne plus du tout, qu’il faut l’améliorer, qu’il faut lancer une transition vers quelque chose de plus équitable et de plus juste.
Des personnes, comme Cédric Herrou, qui ont obligé l’État français à devenir plus solidaire, sont un bon exemple de ceux qui sont à mes yeux des lanceurs d’alerte systémiques, qui vont au-delà du domaine du privé.
Les dialogues sonnent très justes, ils ont un rythme précis. Comment les travaillez-vous ? Les entendez-vous dans votre tête avant de les écrire ?
Tout comme pour le reste du livre, je n’écris pas de phrases ou des mots qui me viennent, mais des scènes. Je suis autant influencé par la littérature que par le cinéma. Je suis un boulimique de cinéma. J’ai été critique de cinéma pendant une période de ma vie et en plus j’avais fait une reconversion professionnelle pour devenir artiste photographe. Mon approche est donc très visuelle. Et donc concernant les dialogues, je vois des personnes qui parlent. Je sais très rapidement dire si ce dialogue dans un film aurait l’air réaliste ou pas.
Y a-t-il une scène qui vous a donné du fil à retordre, que vous avez dû réécrire plusieurs fois avant qu’elle ne sonne juste ?
Je garde un très bon souvenir de la course poursuite finale, lorsque l’étau se resserre, lorsqu’il y a une confrontation entre les différentes forces. J’ai pris beaucoup de plaisir à décrire la façon dont Eric le psychopathe, le tueur à gages arrive à flairer les pistes et les traces. Comment est-ce que je pouvais faire en sorte que des personnes extrêmement intelligentes comme le professeur et comme David, malgré leur intelligence et malgré leur réseau, et leur expérience arrivent quand même à laisser des petites miettes de traces qui pouvaient quand même être reniflées par ce limier d’Éric. Et j’ai beaucoup aimé écrire un dialogue en particulier de la confrontation finale entre deux de ces personnages.
Pourquoi avoir choisi de donner une fin ouverte ? Doit-on s’attendre à une suite ?
Je ne trouvais pas que la fin était si ouverte que ça. Je trouve qu’il y a un dénouement clair et précis, qui aboutit à une véritable fin. Forcément, comme dans tous les livres, on peut imaginer plein de choses qui se passent après la conclusion. Mais si la question est de savoir s’il y avait une suite prévue d’emblée, je peux répondre qu’il n’y en avait pas. Ce n’est pas impossible qu’il y ait une suite avec ces mêmes personnages, vu le plaisir que j’ai pris et l’amour que j’ai pour ces personnages-là, que j’ai envie de voir continuer à vivre. Je ne me l’interdis pas, mais ça n’a pas été calculé d’emblée pour aboutir à cette fin.
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