L’artiste dont le travail se rattache à l’esthétique Pop Art, Louis Durot, nous parle de son livre « J’ai raté le train d’Auschwitz », publié chez ISTYA & CIE.
Louis Durot, chimiste, designer et auteur français lié au pop art, a échappé à la déportation vers Auschwitz pendant la Seconde Guerre mondiale.
Tout au long de sa carrière, Louis Durot expose son travail novateur dans des expositions internationales. De Paris à Pékin, en passant par New York, il étend son influence à l’échelle mondiale dans son domaine artistique.
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Pouvez-vous nous raconter comment l’idée de votre livre a pris forme ? Qu’est-ce qui vous a poussé à partager cette histoire maintenant, plutôt qu’à un autre moment de votre vie ?
C’est mon agent, Kim Chi PHO qui m’a suggéré d’expliquer comment j’ai été amené à créer et dans l’esprit exact de la grande aventure des Trente glorieuses de l’art contemporain.
Celle des années 60 / 70 / 80 où l’on créait encore des objets d’art destinés à être de futures icônes et de futurs totems fétichistes : la dernière époque artistique des créations individuelles révolutionnaires qui sont déjà dès maintenant une archéologie du 20è siècle.
Le titre « J’ai raté le train d’Auschwitz » nous happe instantanément. Est-ce une intention délibérée de votre part ? Pourriez-vous nous dévoiler les coulisses du choix de ce titre ?
Lors ma première rencontre avec l’équipe éditoriale Istya et Cie, après avoir écouté mon histoire, l’éditeur a proposé instantanément ce titre, que j’ai aussitôt accepté.
D’un côté, parce que le titre me fait penser à un film d’Alain RENAIS, Nuit et brouillard. Et de l’autre, ce titre illustre l’esprit de Pierre DESPROGES, si j’avais raté le train d’Auschwitz, c’était dommage car, à cette époque surtout, c’était gratuit.
De même, le choix du titre parodie un autre humoriste amer, monsieur Woody ALLEN à qui l’on demandait comment il avait réussi et y répondrait qu’il avait réussi grâce à beaucoup d’échecs.
Pouvez-vous partager avec nous vos souvenirs de ces temps horribles où vous naviguiez à travers les ombres en 1942, caché parmi d’autres petits trésors humains, des enfants juifs comme vous ?
L’expérience unique de Magagnosc fût la rivière voisine et ses argiles de différentes couleurs qui me permettaient, quand je me cachais le jour loin du village, re rêver un peu avec mes jouets.
L’objectif était si j’y allais en douce, en m’échappant, d’y rester toute la journée pour que personne ne me rencontre au village, puisqu’au village, il fallait rester caché toute la journée dans le grenier à s’ennuyer et à se concentrer sans le savoir pourquoi se faire peur : on nous avait bien expliqué que si par hasard, on voyait, dans le village, des hommes en manteaux noirs avec ceintures, quelques paysans nous aborder ou des hommes avec des bérets bleus, des insignes et des bottes, et des médailles et des armures, il fallait, sans faire de bruit, partir en courant, mais jamais leur parler ou leur répondre car ils pouvaient nous prendre et nous amener chez une méchante sorcière griffue.
La seule marque d’affection que j’ai connue et dont je me souvienne est celle des chèvres de madame GUIZOL dans son étable qui m’ont laisser dormir contre elles pour avoir chaud les nuits de la période d’hiver et sans protester sans coup d corne ou de dents et qui me le confirmaient avec leurs langues quelques fois.
Comment ce que vous avez vécu en tant qu’enfant en 42 a impacté votre vision politique, sociale et laissé son empreinte sur votre travail artistique ?
Ce que j’ai vécu pendant 2 ans caché chez la gardienne des chèvres avec 13 autres petits proscrits de 7 ans d’âge en moyenne, a encré chez moi : une conviction d’un monde étrange et potentiellement hostile : les autres, les grands que l’on appelle maintenant des adultes.
Ils sont restés pour moi, une race étrangère, à la tendance hostile face à laquelle j’ai compris qu’il fallait surtout être fort et à qui surtout, il ne faut jamais ni obéir, ni écouter en rien.
Ce sentiment qui ne m’a jamais quitté depuis, a été un besoin de vraie insoumission absolue y compris artistique.
C’est cet esprit qui se cache derrière mes œuvres qui veut être une dérision des mobiliers de notables et de leur symbolique statut culturel ou social.
Quels souvenirs précieux ou expériences uniques associez-vous à Magagnosc ?
Magagnosc fut pour moi, vécu comme je l’ai déjà évoqué dans l’atmosphère « NACHT UND NEBEL » qui fut ensuite paraphrasé par Alain RENAIS dans son célèbre film.
Une atmosphère de vie obscure et vide que je sentais incompréhensible et désespérante et surtout totalement sans joie (aucun contact avec mes parents pendant 2 ans) avec dans mon esprit d’enfant un peu primaire, une menace et une peur de sorcière inexplicable que l’on m’avait inculquée et qui a mis des années à quitter mes nuits, avec une mise en garde particulière, outre les hommes en imperméables de cuir noir ou des grands bérets bleus.
Donc, en résumé, la faim, le froid et la vie sans joie et pour me cacher le jour, une rivière, son argile, pour échapper au grenier du dessus de l’étable et pour seules amies, quelques chèvres qui se manifestaient, par ailleurs, très peu.
Mes œuvres sont exactement ce qui m’a manqué dans ma vie d’enfance et que j’ai recrée comme une œuvre de fantasmes ; en fait, seuls les enfants qui accompagnent les adultes comprennent vraiment, dans mes expositions, et le manifestent en jouant avec elles.
Parlez-nous de votre rencontre avec des artistes tels que Nicolas de Staël, Niki de Saint-Phalle et César. Il est fascinant de découvrir ces moments marquants de votre parcours.
Mes grandes rencontres artistiques, y compris et surtout, pour les artistes des années 1960, celles de leurs grands mentors et critiques d’art Pierre RESTANY et le dialogue avec eux très prolongé, qui fait la plus grande part de mon éducation artistique, ont eu lieu parce que, d’une part, dans les grands époques d’expositions artistiques éclatantes, les meilleurs artistes se reconnaissent et se rencontrent et que précisément, les années de 60 à 80 – furent artistiquement glorieuses comme le furent les années 25 et 30.
Parce qu’étant moi-même devenu l’assistant de deux de ces artistes et en particulier du plus notoires qui était CESAR, ils me faisaient rencontrer avec eux, les autres grands participants à cette période.
Ils ont été mes enseignants, mes révélateurs et mes inspirateurs car ils étaient parfaitement conscients du sens de ce qu’ils faisaient et non seulement le faisaient mais savaient verbalement en rendre compte et leur grand mentor Pierre RESTANY, grand critique d’art, a su le définir.
L’exception fut Nicolas de Staël que j’ai rencontré à un âge beaucoup trop jeune pour moi, mais qui m’avait laissé un petit souvenir intellectuellement très important, en évoquant un concept dont il était lui-même conscient à propos du tachisme et de l’Actor Painting, à savoir le risque d’imposture.
Quels ont été les principaux défis que vous avez rencontrés en tant que designer Pop Art, et comment les avez-vous surmontés ?
La principale devise de mon Design d’Art qui est lié au fait que toute triche ou toute concession ou toute faiblesse de conception se voit immédiatement par comparaison ainsi que toute absence de communication d’un sens émotif de cette famille d’objets d’art.
En se rappelant que j’habille avec les parures de POP ART, mais des thèmes fantasmagoriques qui sont plus dans l’esprit de la Bande Dessinée que dans l’esprit des objets du POP ART.
Le but est de donner un rendu d’objets d’art extraordinaire, apparemment magique. Dans sa réalisation ou se présentant comme une révélation est de réussir à réaliser ce concept et quelques fois après avoir trouvé l’idée, on ne trouve pas le moyen.
LAMARTINE a résumé et défini mon principal défi « Donner une âme aux objets inanimés ».
Comment percevez-vous l’évolution de la scène artistique contemporaine depuis vos débuts jusqu’à aujourd’hui ?
Ma perception de la scène artistique des Arts visuels contemporains est la quasi-tyrannie de 3 impératifs pour les objets artistiques et pour le but d’en être un Art :
* Innover et surprendre,
* Communiquer, suggérer fortement ou dévoiler un sens émotif conceptuel onirique ou fantasmagorique, ludique ou troublant ou transgressif,
* Être alternatif à notre réalité environnante banalisée et assez étrange voire sensationnelle pour, non seulement séduire mais étonner et transgresser ses codes de valeurs contemporains par étapes successives, remplacer l’ancien code académique qui régnait jusqu’au début du 20è siècle.
Entretien réalisé le 02 février 2024.
Très intéressant. Je vais lire le livre!
Quel destin, quelle victoire sur l’horreur. Une réussite, mais qui a pris quatre-vingt ans pour crever l’écran. Il fallait que Louis Durot atteigne l’âge où l’on redevient enfant pour toucher les petits avec ses oeuvres, les grands avec son histoire et peut-être devenir un artiste dont on se souviendra…