Denise Lombardi nous parle de son livre ‘Le néo-chamanisme’, publié aux éditions du Cerf.
Denise Lombardi est Anthropologue, docteure associée au laboratoire Groupe Sociétés Religions et Laïcités.
Elle est l’autrice de nombreux articles scientifiques sur le néo-chamanisme et signe ici son premier livre.
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Qu’est-ce qui vous a inspirée à plonger dans le monde fascinant du néo-chamanisme ? Quels défis avez-vous rencontrés en explorant ce sujet complexe et en rédigeant votre livre ?
Il faut remonter au début des années 2000, lorsque, après ma maîtrise en éducation, j’ai obtenu une bourse de l’Università Cattolica del Sacro Cuore de Milan et que je suis allée au Pérou pendant un semestre pour travailler à l’université locale et avec des enfants dans la banlieue de la capitale péruvienne.
C’est à cette époque que j’ai entendu parler pour la première fois du peuple Shipibo, qui vivait isolé dans la jungle et dont les chamans locaux utilisaient un puissant hallucinogène appelé ayahuasca. À l’époque, je travaillais dans un poste de garde à Huachipa et je n’ai pas eu l’occasion de rencontrer les ayahuasqueros péruviens.
De retour en Italie, j’ai commencé mon master en anthropologie à l’université de Milan Bicocca avec l’intention de retourner au Pérou pour en savoir plus sur ces puissants chamans. Il faut dire que le Pérou est resté un rêve, car je n’y suis jamais retournée, et pendant mon master en anthropologie, j’ai découvert qu’il y avait des chamanes péruviens qui organisaient des séminaires en Italie pour découvrir le chamanisme des Q’eros, un chamanisme qui n’implique pas l’utilisation de substances psychotropes.
Voulant les comparer avec des propositions similaires, je me suis intéressé aux séminaires organisés en Italie par la Foundation for Shamanic Studies (FFSS) de Michael Harner et j’ai commencé à suivre des formations proposées par la FFSS à Milan. Mon mémoire de maîtrise portait sur les séminaires auxquels j’avais participé.
À la fin de mon master en Italie, j’ai poursuivi mes études en commençant un doctorat à l’École Pratique des Hautes Études à Paris et j’ai élargi mon champ de recherche à la France et aux Français qui pratiquent le néochamanisme. C’est ainsi que j’ai découvert le néo-chamanisme ou chamanisme pour les Occidentaux.
Je crois que la compréhension d’une société à travers ses pratiques spirituelles permet de mettre en lumière différents aspects de cette société. Les différentes formes de spiritualité au sein d’une société doivent être considérées comme des manières uniques de comprendre le monde et de se positionner dans le processus de sécularisation qui caractérise notre monde contemporain.
La difficulté majeure a été d’ordre méthodologique, car pendant un certain temps, je n’ai pas réussi à trouver la bonne distance pour mener ma recherche. En d’autres termes, il m’a fallu un certain temps pour adopter une posture analytique, sans être moi-même experte ou praticienne, mais sans porter de jugement de valeur sur les pratiques et les participants.
Comme on le sait, la neutralité est impossible et trouver la bonne approche intellectuelle et la bonne distance a demandé des années d’étude et de réflexion. J’ai toujours déclaré qui j’étais et demandé la permission de participer même en tant qu’anthropologue, alors qu’il s’agit de domaines de recherche pour lesquels une position d’extériorité n’est pas possible, c’est-à-dire que j’ai participé comme tout le monde.
Y a-t-il des idées fausses ou des stéréotypes que vous cherchez à démystifier à travers ce livre ?
Le stéréotype le plus important à démystifier est celui qui concerne les participants aux séminaires chamaniques, car il ne s’agit pas de personnes en marge de la société sur le plan économique ou éducatif, issues de la campagne ou de régions reculées de France. Rien de tout cela n’est vrai, car il s’agit de personnes socialement et économiquement intégrées dans la société.
Chaque séminaire est constitué par de groupes de 15-20 personnes. Dans les groupes nous retrouvons une forte majorité de femmes parmi les participants (environ 80 %), d’âge moyen entre 40 et 50 ans. Nous voyons que le public qui fréquente les séminaires néo-chamaniques en France est composé de personnes de toutes classes sociales, avec en général un niveau de scolarisation qui atteint, pour 20 % des participants, celui des études supérieures.
Elles exercent toutes sortes de métiers : avocat, salarié, artisan, technicien, ouvrier, étudiant, maçon, ingénieur, thérapeute, médecin, artiste, esthéticienne, enseignant, mais aussi retraité. Elles ont des vies ordinaires avec des relations sociales et familiales, une profession déjà acquise et proviennent surtout d’un milieu urbain. Elles intègrent des groupes à configuration éphémère qui incluent des personnes ayant des vécus différents, qui se racontent pendant les séances grâce à de brèves métaphores autobiographiques mutuellement partagées.
Ce sont des individus qui se retrouvent dans un moment particulier de leur vie, souvent une période charnière qui leur permettra de concevoir un avant et un après. Environ 30-40% des participantes aux séminaires chamaniques analysés étaient en reconversion professionnelle dans le domaine du soin et du bien-être.
Selon vous, le néo-chamanisme est-il un néo-humanisme ? Comment les milieux académiques et scientifiques perçoivent ce ‘mouvement’ ?
La philosophie néo-humaniste demande à la société d’aujourd’hui de définir un programme politique qui prenne en compte les caractéristiques de l’être humain dans l’unité et la multiplicité de sa culture et de sa sensibilité.
Il devient donc essentiel de tout mettre en œuvre pour sauver la planète menacée par un développement économique non régulé qui continue d’ignorer les lois de l’écosystème. La technologie doit être ramenée à sa juste dimension et en faire un moyen et non une fin.
Alors que le néo-humanisme se concentre sur des principes philosophiques et culturels, le néo-chamanisme est souvent axé sur des pratiques spirituelles et thérapeutiques. Il n’y a pas de relation inhérente entre les deux, bien qu’ils puissent tous deux être considérés comme des réponses contemporaines aux défis et aux opportunités de la vie moderne.
En fin de compte, le lien entre le néo-chamanisme et le néo-humanisme dépendra de la vision et des objectifs spécifiques de ceux qui envisagent ces mouvements. Ma thèse a été la première écrite sur le sujet en France et donc, s’agissant d’un sujet nouveau, j’ai eu du mal au début à la faire accepter au sein du monde académique.
Comment expliquez-vous le lien entre la soif d’exotisme et la recherche intime de spiritualité dans le contexte du néo-chamanisme ? Y a-t-il eu des découvertes au cours de vos recherches qui vous ont vraiment surpris ou étonné ?
Dans le contexte français, comme dans la plupart des sociétés occidentales, on assiste à la multiplication des activités spirituelles centrées sur la figure du chamane et sa capacité à mobiliser un potentiel de guérison à travers la convocation de différentes entités.
Les séminaires néo-chamaniques doivent être considérés comme des pratiques spirituelles à visée thérapeutique qui mettent en œuvre un ensemble hétérogène de connaissances définies par les participants comme des «savoirs indigènes» et où la dimension thérapeutique liée à une hypothétique guérison du participant constitue un élément fondamental.
À travers mes recherches, un facteur fondamental dans la constitution de ces pratiques a émergé, qui est l’aspect lié à la figure imaginaire du chaman qui ne représente pas tant un guérisseur, mais incarne plutôt une sorte de sagesse indigène qui est telle parce qu’elle est promulguée par une personne indigène.
Désenchanté, l’homme moderne se tourne vers la rêverie d’un monde pur et originel désormais perdu, seulement préservé par des traditions lointaines. C’est ainsi que l’exploration d’un ailleurs mythifié commence à se construire. La fascination esthétique de ce qui est censé être décalé dans un passé ancien et qui désigne une altérité que en tant que telle devient thérapeutique.
L’exotisme recherché par les néo-chamanes et attendu par les participants se traduit par une sorte de romantisme et de chosification autoréférentielle de l’altérité. L’exotisme constitue une perception esthétique de l’autre qui accentue, si ce n’est parfois élabore celui-ci, de manière à rendre son étrangeté belle et séduisante. L’exotisme que nous retrouvons dans ces pratiques cherche moins à rendre compte des différences culturelles que de formuler un idéal en dramatisant les contrastes et en construisant des différences.
Quelles sont, selon vous, les principales influences socioculturelles qui façonnent le renouveau du néo-chamanisme, et comment ces influences se manifestent-elles dans les pratiques contemporaines ?
Dans le néo-chamanisme, pour les praticiens occidentaux, nous voyons comment les références cosmologiques proviennent essentiellement des ontologies indigènes des Jivaros reprises par Michael Harner, de la description des cosmologies proposée par Mircea Eliade, et de l’importance des visions oniriques indiquée par Carlos Castañeda.
Si nous nous attardions sur les éléments qui définissent le vrai et le faux chamanisme, nous risquerions de nous retrouver dans une argumentation elliptique qui ne contribuerait guère à clarifier la diffusion des pratiques néo-chamaniques. Michael Harner (1929-2018), figure multiforme et charismatique de la Foundation for Shamanic Studies qu’il a créée dans les années 1980 en Californie, doit être considéré comme l’anthropologue à l’origine du néo-chamanisme sous l’appellation de « Core Shamanism ».
Le chamanisme proposé par Harner est détaché de toute tradition locale en même temps qu’il est un catalyseur des indices culturels de notre époque, indispensable pour articuler et organiser un corps de pratiques capable d’être reproduit partout. Il a élaboré une forme de chamanisme universel, codifiant ses procédures et institutionnalisant ses rituels, au point d’en faire le chamanisme post-moderne le plus accrédité et le plus répandu en Occident. Il se présente comme une sorte de compendium des différentes formes de chamanisme présentes dans les cultures non occidentales, analysées et retravaillées pour donner vie à un ensemble structuré de pratiques permettant d’atteindre un état modifié de conscience sans recourir à des substances psychotropes, mais au son du tambour chamanique.
À la lumière de votre expertise, quelles pourraient être les implications du néo-chamanisme sur la santé mentale et le bien-être individuel et collectif dans un contexte où la santé mentale est de plus en plus mise en avant ?
Il s’avère crucial d’analyser la portée du néo-chamanisme par rapport au domaine des disciplines dites « psy », qui connaît un processus de mutation historique. On assiste en effet à un lent déclin de la pratique clinique, notamment au profit du développement des neurosciences, qui ont identifié dans le fonctionnement du cerveau le lieu électif des troubles mentaux, faisant de la neurobiologie la lecture principale non seulement des mécanismes cérébraux mais aussi de l’ensemble de la subjectivité de l’individu, où la neuro-psychopharmacologie devient le mode d’intervention privilégié en cas de dysfonctionnement.
Le développement des neurosciences oriente les investissements de santé publique vers les grands laboratoires de recherche, soustrayant des ressources à la médecine fondamentale censée garantir des soins à l’ensemble de la communauté. Le phénomène de désertification médicale concerne également le domaine de la santé mentale et, face à l’appauvrissement du service public, l’usager se tourne de plus en plus vers d’autres modalités thérapeutiques telles que celles proposées lors des séminaires néo-chamaniques.
Comment votre travail sur le néo-chamanisme s’inscrit-il dans le débat plus large sur la globalisation culturelle et la diversité, en particulier en ce qui concerne la préservation des pratiques traditionnelles et leur adaptation dans un monde en mutation rapide ?
Les pratiques néo-chamaniques des Occidentaux, et en l’occurrence celles proposées au public français comme au public européen en général, ne peuvent pas être rattachées à une culture ou à une géographie particulière. Certains éléments sont repris, recodés, détournés et resémantisés pour répondre à une quête de sens capable de répondre aux besoins des publics occidentaux qui cherchent à réintégrer le sacré dans leur quotidien.
Les praticiens actuels fondent la légitimité de leurs pratiques sur une lecture diachronique du chamanisme traditionnel qui évoluerait dans le chamanisme actuel (néo-chamanisme) ou serait continué par lui. Au terme de plusieurs années de recherches, je n’ai pu identifier ni continuité ni filiation directe, mais bien plutôt une resémantisation constante à l’usage du public occidental qui, en tant que consommateur, ne s’intéresse pas à la «pureté» des pratiques proposées, étant bien davantage soucieux de l’efficacité éventuelle des pratiques et de leur intégration dans la vie quotidienne.
Le phénomène du néo-chamanisme, présent dans tous les pays occidentaux car porté par l’expansion d’un orientalisme populaire, doit être abordé dans sa contemporanéité. Dans ces allers et retours entre l’ici et l’ailleurs, la patrimonialisation d’une culture autochtone participe bien du renouvellement des pratiques spirituelles et thérapeutiques européennes. Et on ne saurait dissocier l’étude des unes et des autres.
Existe-t-il des préoccupations éthiques ou des enjeux de responsabilité sociale dans la promotion ou la critique du néo-chamanisme, et comment pensez-vous que ces préoccupations devraient être abordées dans les discours publics ?
Lorsque les termes spiritualité, santé et regroupement sont associés, la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) s’inquiète vite d’un danger sectaire. Le néo- chamanisme est un système complexe et malléable où le risque d’abus peut se manifester, comme dans toute relation de pouvoir. Mais en tout état de cause, j’estime, à l’instar de nombreux collègues, que taxer les pratiques chamaniques de sectaires constitue une attitude à courte vue.
Les différentes formes de spiritualités contemporaines font partie des mutations plus générales de la société globale et les changements que l’on observe dans la façon d’être religieux individuellement et collectivement, loin d’être isolés, s’inscrivent en fait dans des changements sociaux globaux qui affectent également d’autres sphères d’activités, comme le monde de l’économie et de la santé. Ces pratiques mettent les sociétés contemporaines dans l’inconfortable posture de trouver une solution pour articuler le respect des libertés individuelles et de non-conformismes d’une part, et celui des droits humains fondamentaux et de la démocratie d’autre part.
Penser que les chamanes ne sont que des charlatans et des gens abusifs relève d’un réductionnisme inefficace, avec le risque catégoriser toutes les pratiques thérapeutiques-spirituelles comme dangereuses a priori, ce qui n’aide pas à les comprendre.
Comment le néo-chamanisme pourrait-il contribuer à la construction ou à la transformation des identités individuelles et collectives dans une société de plus en plus pluraliste et multiculturelle ?
Les rituels néo-chamaniques qui fascinent les occidentaux ne participent pas à de logiques secrètes, aucunes initiation est prévue et chacun peut repérer facilement informations et objets pour trouver et prendre partie aux séminaires.
Les pratiques en question participent au réenchantement du monde qui en se penchant vers une négation de religions institutionnelles et structurées, en même temps, ce monde, est capable de se reconnaître dans de modalités spirituelles hybrides qui piochent aux philosophies orientales, aux techniques hétéroclites du corps et aux ontologies indigènes.
Comme c’est souvent le cas pour les pratiques dites « New Age », à travers le néo-chamanisme nous avançons dans une analyse qui considère la coexistence à l’époque actuelle de la catégorie du religieux et celle du spirituel qui se côtoient, se superposent, s’effacent et se nourrissent mutuellement l’une de l’autre.
Le néo-chamanisme demeure une expérience individuelle de transcendance qui exclut la dimension de groupe et sa portée éthique. La religion concerne la dimension collective de la société, tandis que la spiritualité concerne sa dimension individuelle.
La question qui reste ouverte est de savoir si l’expansion de la spiritualité est la conséquence d’une société de plus en plus individualiste ou si, au contraire, elle constitue un accélérateur de cette tendance lourde à l’individualisme jusqu’à en incarner l’ultime expression.
Pouvez-vous partager des insights sur la manière dont le néo-chamanisme s’articule avec les défis environnementaux contemporains et les mouvements écologiques, et comment ces liens peuvent-ils influencer les actions en faveur de l’environnement ?
La nature joue un rôle fondamental dans ce type de pratiques. Le concept de nature s’est construit au fil du temps comme un système de significations et est devenu un objet utile pour penser la société d’aujourd’hui dans sa globalité, elle est une supra-entité qui permet de penser les questions environnementales, sociales, politiques et économiques, mais aussi et surtout philosophiques et anthropologiques. L’être au monde de l’homme contemporain se lit nécessairement à travers une sorte de «filtre nature» où les instances de l’entité nature deviennent une manière de lire la société dans son ensemble.
La défense de l’environnement et la prise en compte des enjeux écologiques sont des sujets d’actualité en France. On peut rappeler, par exemple, la vaste campagne médiatique pour la préservation du parc naturel de la Vanoise entre 1969 et 1971 pour empêcher l’implantation de deux stations de ski, ou la campagne pour éviter un méga centre touristique dans les gorges du Verdon, ou encore, dans les années 1990, une station de ski sur une tourbière des Vosges à seulement 1 000 mètres d’altitude, et plus récemment Notre-Dame-des-Landes où, après l’abandon du projet initial, divers problèmes sont apparus dans la tentative d’organiser et de concevoir un scénario qui prenne en compte les intérêts divergents entre riverains, habitants, paysans, zadistes, environnementalistes, etc.
Les données relatives à la situation écologique deviennent un support valable pour des métaphores religieuses et culturelles. Et cependant les problèmes écologiques en viennent à nourrir une pensée écosophique et un style de vie particulier.
L’écologie devient ainsi écosophie, autrement dit une vision globale et radicale de la place de l’homme dans la société et dans l’univers. La nature est représentée comme une entité à protéger et à conserver au fil des décennies, l’écologie devient ainsi une façon nouvelle de poser son regard sur la réalité qui se concentre sur le respect de la vie et du vivant dans toute son ampleur et sa complexité.
L’écologie est prise comme modèle pour montrer combien le dualisme entre l’homme et la nature est social et lié au modèle des sociétés occidentales, et souligner en quelle manière la frontière entre la nature et la société est une construction qu’il faudrait redéfinir pour mieux appréhender et affronter la crise écologique.
La problématique écologique contient ainsi des éléments utilisables par des publics contemporains à la recherche constante de nouvelles façons de croire. Ces éléments sont de cette manière mobilisés comme des ressources dans la construction spirituelle de soi, les exercices proposés lors des séminaires reposant sur la possibilité d’entrer en contact avec cette forme de nature et de nombreux moments d’enseignement étant consacrés à la matérialisation de cette supra-entité.
À votre avis, comment évoluera le néo-chamanisme en France, étant donné son succès croissant ?
Il suffit de faire une recherche en ligne pour voir quelle est l’ampleur de l’offre commerciale pour ce type d’activités. On trouve facilement des séminaires de découverte de son animal totem et de son guide spirituel au son du tambour chamanique se déroulant dans des gîtes ruraux de la campagne française, ou encore des ateliers se tenant dans des centres culturels ou des appartements privés au cœur des grandes villes.
On peut suivre des régimes à base de plantes amazoniennes (interdites en France) sans devoir prendre l’avion et se rendre en Amérique du Sud. On peut participer à des cérémonies sacrées du cacao ou du tabac, ou se perdre dans les vapeurs des temazcal (huttes de sudation) qui surgissent un peu partout dans la campagne française, ou encore prendre part à des stages pour apprendre à fabriquer son propre tambour afin de se connecter avec les esprits.
Et puis il y a les festivals auxquels participent des milliers de personnes donnant une représentation spectaculaire des différents chamanes provenant de quatre coins du monde. Sans compter les publications, les films, les innombrables voyages à l’étranger pour la découverte du chamanisme ancestral, la formation étalée sur plusieurs années dédiée au compagnonnage chamanique, les festivals de cinéma spécialisé, les concerts, les danses, les peintures, les conférences, les respirations, le yoga, les activités clownesques, etc.
Bref, une grande partie de la vie culturelle et sociale des deux dernières décennies semble être imprégnée de chamanisme. Les différents chamanes contemporains adaptent les séminaires qu’ils organisent selon leurs connaissances, en y intégrant des pratiques hétéroclites issues de différentes techniques ou de traditions dites «lointaines» et réélaborées.
On les retrouve sur le marché fécond des spiritualités, mettant en lumière le glissement du sacré vers une sorte de bien de consommation auquel nous assistons aujourd’hui, comme dans n’importe quelle économie capitaliste. Et comme tous les biens de consommation, il s’inscrit dans un vaste réseau d’échanges économiques et culturels, où la mobilité des personnes et des pratiques va de pair.
Dans certains pays, pas en France, les pratiques néo-chamaniques sont utilisées pour accentuer un discours politique orienté vers la valorisation des origines, de la pureté d’une sorte de religion primordiale et locale qui suit les discours sur la pureté des populations indigènes locales au détriment des sociétés métisses qui représentent la contemporanéité.
Le risque d’instrumentalisation des pratiques néo-chamaniques est possible tant dans le domaine politique que dans celui de la santé.
Entretien réalisé le 23 janvier 2024
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