Didier Guillot nous parle de son livre La Dernière Cabane Avant La Forêt, publié aux Éditions La Trace.
Ancien ajusteur-monteur aujourd’hui juriste, Didier Guillot est l’auteur d’un premier ouvrage J’ai appris à rêver (Sur les pas de Stevenson) publié aux éditions La Trace. Il vit en Charente.
Lire aussi cet Article… Entretien avec Jean-Baptiste de Froment
INTERVIEW
Pourquoi ce livre et pourquoi maintenant ?
Par l’écriture, il y a l’idée forte et égoïste de faire durer le plaisir. De retour après un petit tour sous les étoiles, pas question de lâcher l’affaire et la priorité consiste à mettre en place tout stratagème susceptible de profiter le plus longtemps possible des effets du voyage comme on le ferait à suivre les effluves d’un bon parfum. On peut raconter son épopée à qui veut l’entendre, montrer des photos, on peut garder pour soi ses souvenirs comme on le ferait d’un précieux talisman et y piocher lorsque le besoin se fait sentir.
Pour ma part, j’ai opté pour l’écriture qui impose de refaire le parcours de mille manières et d’enchaîner à nouveau les kilomètres. Je prends très peu de notes lors de mes voyages.
Une poignée de mots pour raconter une couleur, un instant privilégié. Parfois un simple dessin esquissé. Rien de plus. Revenu chez moi je retrouve mes meilleures occupations sans chercher à ouvrir le petit carnet qui m’a accompagné. C’est le temps de la maturation. Et après des mois à laisser monter le levain, il y a cette envie si puissante qu’inexplicable de se mettre enfin au travail et laisser filer l’essentiel.
Parlez-nous du titre de ce livre : comment est-il né ?
Il faut s’imaginer quatre bonshommes glissant sur une immensité blanche et glacée à peine perturbée par le vert de quelques arbres coiffant une île engloutie. Nos cerveaux qui aiment tant le contraste s’habituent peu à peu à ce nouvel environnement mais demeurent attentifs à toutes stimulations susceptibles de les faire bondir. Après des jours d’effort, lorsque se resserrent les rives, naît l’espoir d’un autre monde et d’un autre paysage. Et Je la vois soudain s’approcher cette dernière cabane. Magnifique. Le faible soleil se cognant dans sa vitre. Elle est là-bas, à des kilomètres, juchée sur son promontoire. Comme une reine au menton relevé veillant sur une ligne d’horizon qu’une forêt a colonisé. Elle devient une obsession, un joyau à cueillir. La dernière cabane avant la forêt
La narration de ce livre est strictement chronologique, chapitre après chapitre. Pourquoi ce choix ? Cette structure linéaire a-t-elle un impact sur la compréhension globale ? Quel a été votre processus d’écriture ?
Il y a derrière ce type de narration, l’idée de transhumance. Trimbaler avec soi ses effets personnels et dans ce sac à dos si vaste, accorder entre slips et chaussettes, une place confortable au lecteur. Même si en l’espèce, c’est plutôt d’une pulka dont il est question, cette espèce de grand canoé qu’on traine avec soi. Le livre s’est bâti avec naturel dans l’avancée, autour de la découverte d’un paysage à chaque nouveau pas. Une énergie indispensable pour que demeure l’effort et la plongée éblouissante dans un inconnu. À chaque pas s’agrègent de nouveaux éléments qui feront les futurs écrits. Une expédition est comme la dynamo qui cesse de produire son électricité lorsque la roue ne tourne plus. À ne pas respecter le rituel de l’étape, on en en perd facilement le fil.
Quels ont été les principaux défis que vous avez rencontrés lors de l’écriture de ce livre ? Comment les avez-vous surmontés ?
L’écriture de ce livre fut fluide. Comme je l’ai déjà expliqué, j’ai attendu de longs mois avant de m’installer derrière mon clavier ce qui m’a laissé le temps nécessaire d’emmagasiner la matière suffisante pour ne me préoccuper que du style. Avec cette attention toute particulière à la dimension musicale de la phrase afin qu’aucun obstacle ne vienne perturber son déroulé. Pour le contenu, il suffisait que je ferme les yeux pour rechausser les skis et tirer à nouveau ma pulka. Je n’ai pas grande mémoire des noms, des lieux mais je peux des années après l’avoir croisée, raconter la forme d’une pierre posée sur une ligne de crête. Ici, la couleur de la neige si différente selon où elle se posait. La délicate installée sur le cuir de mon gant, l’orgueilleuse accrochée à la cime d’un arbre ou la robuste supportant de toute sa force le poids du skieur. Il m’a suffi de respirer un grand bol d’air et de me délivrer de toutes ces émotions.
Au cours de votre voyage, vous avez rencontré des moments de peur qui ont pu ébranler votre détermination. Comment avez-vous surmonté ces doutes et fait preuve de résilience face à l’adversité ?
De l’appréhension, c’est certain, de la peur, je ne pense pas. Nous avons vite eu le sentiment de former tous les quatre un équipage capable de voguer sans encombre jusqu’à l’autre bout de la terre. Nous étions insubmersibles. Tous différents mais d’une parfaite complémentarité. Il y eut bien sûr le froid pour mettre à mal nos belles convictions mais lorsque mes doigts frôlèrent la nécrose, la fièvre frappa François de toute sa force, pas une seule seconde nous avons imaginé rebrousser chemin. Assurés de notre force, nous savions prendre les bonnes décisions et demeurer dans la raison. Peut-être que seul, j’aurais ressenti cette peur à laquelle vous faites référence. Celle qui paralyse, celle qui fait nous détourner d’un lieu, d’une personne au regard noir. Je ne l’ai pas ressentie. Moi le néophyte sous ces latitudes boréales, la confiance forte envers mes camarades m’assurait de vivre l’aventure comme je l’entendais.
En fin de compte, qu’est-ce qui vous pousse toujours à partir ? Que cherchez-vous dans vos explorations et vos marches ? Qu’est-ce que l’aventure représente pour vous ? Est-ce une nécessité ou simplement un désir ?
J’ai eu la chance de disposer, enfant, d’un terrain de jeux avec pour seules limites, une lointaine lisière et une grande fatigue qui finissait toujours par me rattraper. Parcourir les bois, les prés, tomber dans les ruisseaux, fuir devant les taureaux énervés, avaler des fruits sauvages en quantité, voilà ce que fut mon enfance solitaire et campagnarde. Personne ne s’interrogeait sur mes occupations pourvu qu’on assiste à ma présence lors du dîner. J’avais une liberté infinie. Alors quand je prends à nouveau les chemins, il y a l’évident désir de regoûter à ce prodige. De disposer à nouveau de ce temps long pour rêver et de convoquer avec moi tous les héros qui font mon quotidien. Qu’ils soient musiciens ou auteurs pourvu qu’ils me fredonnent leurs meilleurs vers.
Cette quête intérieure que vous partagez à travers votre récit nous invite à réfléchir. Quelles leçons en avez-vous tirées, et quels conseils offririez-vous à ceux qui auront le privilège de vous lire ?
Je n’ai pas grand conseil à fournir si ce n’est qu’il appartient à chacun de construire son propre territoire et chercher ce quelqu’un qui partage la même intimité. Les conversations du soir n’en deviennent que plus belles.
Votre livre place au cœur de son propos la relation entre l’homme et la nature. Quelle est votre vision de ce lien, particulièrement dans le contexte actuel des crises environnementales ? Quels enjeux écologiques vous préoccupent le plus, et comment envisagez-vous l’évolution de notre rapport à la nature ?
On ne ressort pas indemne d’avoir humé la terre après l’orage ou senti le cœur d’un lézard vert tenu dans ses mains. J’ai toujours eu un lien charnel avec la nature. Alors oui, tout ce qui lui porte atteinte m’affecte et j’essaye à mon humble niveau de faire cette part qui permettra d’éviter le naufrage. De toutes petites choses qui paraîtront pour le plus grand nombre relever de la psychiatrie. Mais lorsque je marche, mon pas ondule afin d’éviter le passage de fourmis et de scarabées. Lors de mes balades, mon sac se remplit d’objets abandonnées par des mains imbéciles et que je dépose à l’endroit qu’ils n’auraient pas dû quitter. De toutes petites choses, je vous dis. Un coin de jardin jamais tondu, un petit potager à l’image de mes maigres compétences en la matière.
J’ai toujours aimé bâtir des murs de pierres sèches. Un travail long et solitaire pour trouver l’équilibre parfait. Des pierres biscornues détachées par l’homme d’une falaise et que la nature s’est chargée de colorer de lichen. Pour moi, le plus beau lien de l’homme avec la nature, c’est ce mur de pierres sèches. Une mise en commun de compétences pour que jaillisse le beau.
À votre avis, le voyage conserve-t-il toujours son pouvoir d’éveiller notre émerveillement à notre époque, malgré les défis environnementaux, migratoires et politiques actuels ? Comment avez-vous ressenti le retour à la civilisation après une expérience aussi immersive dans la nature ?
Bien sûr que le voyage conserve son grand pouvoir d’émerveiller mais il n’est qu’une mauvaise blague s’il ne s’accompagne pas de cette curiosité nécessaire pour toute chose si coutumière aux enfants. Encore et toujours l’enfance. On peut de manière très aisée s’émerveiller aux confins de son jardin et se morfondre sur le sable blanc d’une île du Pacifique. Le voyage est un état d’esprit qui permet mille choses. Mon prochain voyage sera de trouver ce chemin déserté qui partira du seuil de ma porte et qui me mènera vers le centre de la France. Je vous assure qu’il s’agit d’une sacrée gageure dans une région de plaine où les routes quadrillent le territoire avec grand délice. Faire ce trajet comme s’il s’agissait d’un jeu. Eviter les routes, les terrains déjà connus pour plonger dans les ronces et voyager dans un autre territoire. Suivre le chemin du furet. De la curiosité je vous dis. Et je suis persuadé que cette forme d’aventure produira chez moi une émotion pareille à celle ressentie au retour de Laponie. Le grand plaisir de retrouver les siens après ce plongeon dans un ailleurs, les aimer fortement et repartir. La nature ne cesse de nous lancer des défis qu’il faut bien relever.
Parlez-nous de la Charente. Qu’est-ce qui vous attache à ce coin de France ? Y a-t-il un lieu en Charente où vous vous ressourcez pour écrire ?
La Charente est le département où je suis né et où les évènements majeurs de ma vie se sont déroulés. Pourquoi reste-t-on à un endroit ? Parce qu’on y trouve l’amour, le travail, des amis. Parce qu‘il n’est pas si mal après tout ce petit coin du monde avec sa grande diversité. Parce qu’après avoir vu l’ocre rouge du désert du Namib, s’être baigné avec les tortues vertes de l’océan pacifique ou observé le grandiose des aurores boréales, le bord de la rivière de son enfance continue de vous mouiller le regard comme le ferait un grand orage. Et qu’elles sont rares les agences de voyage capables de produire une telle émotion.
Je dois mon écriture à cette belle Charente, à la couleur de son ciel, à ses habitants, même si pour être parfaitement honnête, elle fut bien aidée par le nombre conséquent de cartes géographiques embellissant mon bureau.
Entretien réalisé le 19 octobre 2024
#DidierGuillot #LaDernièreCabaneAvantLaForêt #Laponie #Finlande #Charente
Laisser un commentaire