Synergie Entre Psychologie, Enseignement et Écriture : Entretien Exclusif avec Yves-Alexandre Thalmann
Yves-Alexandre Thalmann est un écrivain suisse-romand. Il a étudié en France, en Belgique, puis au Québec.
Psychologue, formateur et conférencier spécialisé dans le domaine des compétences interpersonnelles, il est également l’auteur de plusieurs ouvrages et enseigne la psychologie.
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INTERVIEW
Pourriez-vous nous parler de votre parcours en tant que professeur de psychologie et de son influence sur votre travail d’écrivain et d’enseignant, ainsi que sur les intersections qui vous inspirent particulièrement entre ces domaines ?
Je crois que la meilleure façon de répondre à cette question est de dire que c’est plutôt les occasions qui ont fait que je me suis dirigé vers l’enseignement, la formation d’adultes, la consultation psychologique et l’écriture de texte.
Ce n’est pas vraiment un projet que j’avais en tant que jeune homme, mais ça s’est fait comme ça. Du moment que je travaille certains thèmes pour les exposer aux jeunes ou aux adultes en formation continue, ça m’amène à approfondir à ces thèmes, et puis ça me donne des idées aussi pour les partager à un plus grand nombre sous forme de textes.
En fait, fabriquer une formation, élaborer un cours, rédiger un texte, ça procède de la même intention qui est de diffuser, de partager des idées, des connaissances.
Quand j’aborde des nouveaux thèmes en formation, ça me donne régulièrement l’impulsion pour écrire. Pas forcément un livre, je suis aussi chroniqueur pour Cerveau et Psycho et pour d’autres journaux, et donc, parfois, sur une page ou deux, je développe un thème que j’ai pu explorer pour les cours que je donne.
Inversement, quand j’écris un livre, je dois bien sûr approfondir des sources, aller voir ce qu’il en est dans la recherche, et ça me permet d’enrichir les cours que je fais, les formations que je donne. Donc, il y a une synergie où l’un vient nourrir l’autre et vice-versa.
L’écriture d’un livre est souvent un processus complexe et exigeant. Pourriez-vous partager certaines de vos expériences personnelles et des défis que vous avez rencontrés tout au long de ce processus, depuis le début jusqu’à la publication finale ?
C’est vrai que j’ai une certaine expérience dans la rédaction de livres, puisque j’en ai publié une soixantaine à ce jour. Certains sont plus conséquents, d’autres un peu plus légers, ou un peu plus courts. S’il y a bien quelque chose que je retiens, c’est une parole de mon premier éditeur, Jacques Maire aux éditions Jouvence.
Je lui avais proposé mon texte sur la culpabilité. Il avait apprécié le manuscrit, et puis il m’a dit qu’il était partant pour le publier. On discutait alors du délai. Il m’a demandé combien de temps j’imaginais avoir besoin pour finaliser le manuscrit. Puis je lui ai dit 6 mois, peut-être un peu plus. Il m’a regardé, puis il m’a dit : « Je vous donne 2 mois ».
J’ai répondu que c’était un peu court, il a répliqué : « Oui, oui, c’est un peu court, mais c’est ce qu’il faut, parce qu’on pourrait déjà le publier comme ça. Donc, ça ne sert à rien d’y passer encore trop de temps ».
Et là, il me dit : « Vous savez, il y a beaucoup de personnes qui ont des manuscrits dans leur tiroir, qui ont rédigé des textes et qui seraient tout à fait publiables. Moi, je vais vous dire la différence entre un écrivain qui publie et un qui ne publie pas : c’est les délais qu’il reçoit. C’est le travail de l’éditeur de spécifier ce délai, parce qu’un texte est toujours perfectible, mais à un moment donné, il faut dire stop ».
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Entretien avec Yves-Alexandre Thalmann.
« Voir autrement, c’est vraiment un slogan qui pourrait me caractériser »
Et ça, c’est un grand conseil que l’on peut retenir quand on veut faire quelque chose. Un délai est une très bonne façon d’y arriver, plutôt que de viser la perfection qu’on n’atteint jamais. Il faut viser un objectif qui est suffisamment satisfaisant, et ce n’est pas seulement valable pour l’écriture, mais oh combien vrai pour l’écriture.
Ceci étant, pour moi, un texte, je le porte en moi. Je dois le nourrir. Ça prend du temps, ça prend quelques années, depuis l’idée jusqu’au manuscrit que je vais pouvoir proposer à mon éditeur. J’ai besoin de digérer. Je lis énormément, bien sûr, parce que ce que je fais, ce n’est pas de raconter ma vie ou de donner mon avis.
Pour ma part, je compile l’information que les sciences humaines, la psychologie, les neurosciences ont réussi à mettre au point, grâce à des expériences, grâce à des recherches. Et c’est ça que j’ai envie de partager…
Au fil du temps, j’ai remarqué que ce qui m’intéressait, c’était de prendre des idées reçues, des croyances populaires, et puis d’aller voir au-delà de ces croyances. Le premier livre que j’ai écrit sur les sentiments de culpabilité part déjà de ce principe de dire que la culpabilité cache un excès de responsabilité et donc une sorte de tentative de contrôler notre monde qu’on appelle la toute-puissance.
Ce n’est pas intuitif, mais ça me paraissait intéressant, et effectivement, ça permet d’aider après des gens à voir autrement. Voir autrement, c’est vraiment un slogan qui pourrait me caractériser, et c’est effectivement ce que je fais aussi dans le livre sur les décisions stupides. Non pas comme un manque d’intelligence, une défaillance de l’intelligence, mais une autre façon d’être intelligent, c’est-à-dire de réhabiliter le thème même.
En tant que professeur de psychologie et écrivain, comment parvenez-vous à équilibrer vos responsabilités d’enseignement et votre travail d’écrivain ?
C’est un équilibre essentiellement instable qui nécessite des réajustements fréquents, comme le cycliste qui tient sur le vélo grâce ses coups de pédale.
À quel moment décidez-vous de mettre de côté l’enseignant pour devenir pleinement écrivain, un créateur aux prises avec ses propres doutes ?
Jamais ! Je ne suis jamais pleinement enseignant, jamais pleinement écrivain, à l’exclusion de toute autre chose. Je ne suis pas du tout du type à me cloîtrer dans une chambre d’hôtel ou dans un monastère pour rédiger un livre à la dure. C’est tout l’inverse.
Je peux très bien me lever le matin, puis, si j’ai une demi-heure de libre, je me mets au clavier, j’avance petit bout par petit bout. J’ai cette faculté de sortir en restant dedans, si vous voulez. C’est-à-dire que je n’ai pas besoin d’avoir une journée complète pour ne faire que de l’écriture.
Je peux faire un bout d’enseignement et un bout d’écriture. Après, j’ai une consultation psychologique avec quelqu’un. Pour moi, c’est ça l’équilibre. Devenir pleinement écrivain, je ne peux pas m’identifier avec une telle étiquette.
Les doutes, je les laisse à d’autres personnes. Mon travail, c’est de coucher sur papier des idées. Je n’ai pas une angoisse de la page blanche comme l’écrivain, le romancier, on va dire. J’écris des textes de psychologie pratique à teneur scientifique. Donc, j’ai toujours l’inspiration des nouvelles recherches que je peux lire. Je ne manque pas d’inspiration…
Comment parvenez-vous à intégrer harmonieusement ces deux facettes dans vos œuvres, évitant ainsi tout conflit entre elles ?
Ils se nourrissent mutuellement. Si je vous dis que mon épouse est également psychothérapeute et que, par conséquent, nous partageons très régulièrement nos idées, nos expériences, les situations, les cas, les problèmes auxquels nous sommes confrontés… Vous voyez que je ne sais pas si c’est harmonieux, mais en tout cas, ce n’est pas conflictuel. Ces différentes activités se nourrissent l’une de l’autre.
Comment les principes des sciences naturelles peuvent-ils être appliqués pour améliorer la compréhension des comportements humains et des relations interpersonnelles ?
Là, vous touchez un point essentiel en ce qui me concerne. C’est ma marque de fabrique. Moi-même, avant d’être psychologue, j’étais physicien. J’ai rédigé une thèse en physique des particules, donc j’ai été biberonné aux sciences naturelles, et ça m’est resté. Pour moi, ce qui est important, c’est de travailler avec des définitions claires, et non pas faire, passez-moi l’expression, de la littérature en psychologie.
Je suis dans la formule, quelque part. On peut condenser des idées extrêmement complexes en une formule mathématique. Pensez aux formules d’Einstein : E=mc², un bijou de condensation. C’est ce que je fais aussi dans mon travail. J’essaie d’arriver à l’essentiel, d’enlever tout le blabla qui ne sert pas vraiment à comprendre. Pour moi, la psychologie, c’est quasiment une science naturelle.
On le voit maintenant avec les neurosciences, où on peut objectiver beaucoup de choses grâce aux appareils qui nous permettent de mesurer le fonctionnement du cerveau en temps réel. Si vous regardez les articles scientifiques qui paraissent en psychologie, c’est essentiellement des articles avec beaucoup de mathématiques, parce qu’on fait des expériences, on prend beaucoup de personnes, on les met dans des situations analogues, on regarde comment elles se comportent et on analyse toutes ces données.
Ça peut paraître étrange par rapport à la psychologie des magazines et de plateau télé. Je m’éloigne donc de cette psychologie très personnelle, très introspective, que je laisse à d’autres. La mienne, elle consiste à savoir ce qui se passe dans le cerveau de toutes les personnes, autrement dit, ce qu’il y a de commun entre nous, et non pas ce qui nous rend unique.
Au final, nous avons tous une façon différente de fonctionner, mais c’est comme la conduite automobile. On a une voiture, c’est un moteur, ce sont des freins, et puis, on a le code de la route. Et pour rouler, il faut connaître le code. Après, chaque conducteur a son style de conduite différent. Moi, ce qui m’intéresse, c’est la conduite, ce n’est pas tel conducteur ou tel autre.
Pourriez-vous nous donner quelques exemples concrets des conseils que vous proposez pour aider les lecteurs à éviter de prendre des décisions stupides ? C’est quoi une décision stupide ?
On touche directement au contenu du livre. C’est quoi une décision stupide? Je la définis comme une action que l’on exécute en nous faisant courir un grand risque de préjudice pour un bénéfice quasiment nul. J’imagine cette personne qui se filme sortant de sa voiture qui continue à rouler pour se remettre au volant ou ce genre de choses. Et ce qui est intéressant, c’est que ce n’est pas une lacune de l’intelligence, c’est ce qu’on appelle un biais cognitif.
Ici, c’est le biais d’optimisme qui joue. C’est l’idée que ça va bien se passer pour nous, les accidents et les problèmes, c’est uniquement pour les autres. Celui qui décide de sortir de son véhicule, il ne pense pas que sa voiture va partir sans lui et qu’il y aura un accident. Il est sûr qu’il s’en sortira indemne. C’est de l’optimisme, dans le sens où cette personne ne se considère pas comme un être statistique dans un monde avec des risques qui sont tout à fait mesurables, mais un cas à part.
Elle s’expose ainsi inutilement à des risques pour un bénéfice nul, un petit frisson passager, peut-être quelques likes sur les réseaux sociaux. Se considérer comme différent des autres au point de ne pas subir les mêmes risques, c’est l’archétype de la pensée qui amène à prendre des décisions stupides, autrement dit, des gestes inconsidérés pour un bénéfice minime.
Le jeu n’en vaut jamais la chandelle, dans ce type de décision, ce pourquoi on peut la catégoriser de stupide. Habituellement, on essaie plutôt de maximiser nos gains et de minimiser les risques…
Entretien réalisé le 12 octobre 2023
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