Réversibilité : Témoignage puissant sur la violence morale au travail et les clés pour se reconstruire.
Victime de violence morale au travail, Véronique Mousillat dépeint dans un récit touchant et authentique, les humiliations répétées, les valeurs bafouées, l’isolement, les blessures qui refusent de se refermer, la stigmatisation, et la solitude devant l’absurde.
Au-delà de son histoire intime, elle questionne également les dérives d’un management hospitalier technocratique et vide de sens…
Plus qu’un témoignage, c’est une véritable recherche de vérité et d’humanité alliée à un besoin de se reconnecter à soi.
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Pourquoi avez-vous choisi d’écrire un récit sur votre expérience de violence morale au travail, et quelles sont les leçons à en tirer ?
L’écriture s’est imposée rapidement comme le remède le plus efficace pour lutter contre les effets du traumatisme lié à ces quatre années de violence morale au travail.
Il s’agissait pour moi de sortir du statut de victime et d’agir. Il ne faut pas s’enfermer dans le traumatisme, mais le traverser pour retrouver sa dignité, son estime de soi et tout ce que l’agresseur a tenté de détruire.
L’agresseur et ses complices vous enferment dans la solitude et le silence, deux piliers dans la mécanique du harcèlement. Écrire, c’est briser le silence, redevenir visible, renouer avec les autres. Oui, le risque existe de rester dans la haine, le ressentiment. Il faut sortir de ce tourbillon délétère. C’est pour cela que j’ai choisi le titre de mon livre : « Réversibilité » ; le traumatisme est irréversible mais les effets sont réversibles.
Avez-vous rencontré des doutes ou des hésitations quant à la décision de partager votre histoire ? Si oui, comment avez-vous surmonté ces doutes et quels en ont été les résultats ?
Franchement, j’ai très peu hésité malgré ma pudeur naturelle. Je n’aime pas me mettre en avant. Mais dans ce cas précis, je pense qu’il est nécessaire de témoigner et de dénoncer la violence au travail, au nom de toutes les victimes qui n’ont pas eu la possibilité de le faire.
A chaque fois qu’une victime prend la parole, d’une manière ou d’une autre, elle permet de faire reculer le seuil de tolérance de notre société face à la violence sous toutes ses formes. Car il est là le problème, le harcèlement est condamné dans la loi, il est toléré dans les faits.
Dans mon récit, je mets en avant la complicité des institutions et des organisations qui étaient averties mais qui se sont refusées à intervenir, laissant au prédateur la « permission de tuer ». Le fameux « pas de vague » !
Un témoignage ne change pas la société, je le sais, mais il réveille les consciences.
Une autre chose que j’ai souvent entendu de la bouche de mes lecteurs, ce récit leur a permis de libérer leur propre parole. C’est formidable.
Quelles découvertes surprenantes ou inattendues avez-vous faites au cours de votre recherche de vérité et d’humanité liée à votre expérience professionnelle ?
Le choc le plus profond, c’est quand j’ai compris réellement que ce n’est pas votre travail qui est en cause dans le processus de violence, mais votre personnalité, vos valeurs, vos qualités. La thérapie m’a révélé qu’en fait l’agresseur essaie tout simplement de vous détruire de l’intérieur. Et forcément, c’est une épreuve que vous ne pouvez pas anticiper sur un lieu de travail, d’autant plus dans un hôpital, soit disant bienveillant.
Une autre surprise, peut-être, c’est l’absence de réaction de la part de certains collègues ou formations. Médecine du travail ? absente. Syndicats ? inaudibles. Ministère de la Santé ? débordé. Le management par la peur fonctionne très bien. Dans mon récit, je parle de camomille empoisonnée… c’est cela, chacun se tait pour garder son petit confort personnel et sa tranquillité. Pire, certains n’hésitent pas à apporter leur concours à des pratiques que les valeurs du soin réprouvent. Un hôpital malveillant, j’ai eu parfois l’impression que nous étions une poignée à le déplorer.
Enfin, suite à la perte de mon travail, je suis devenue bénévole dans le milieu carcéral. C’est bizarre, retrouver en prison la dignité que l’hôpital a voulu piétiner. Une expérience riche et inattendue, qui fera peut-être l’objet d’un deuxième livre !
Quelles solutions concrètes proposez-vous pour remédier aux dérives du management technocratique et sans valeur dans le secteur hospitalier ?
L’urgence, c’est de redonner de l’espace aux soignants. Supprimons toutes ces tâches administratives inutiles, à part légitimer des recrutements toujours plus nombreux des administratifs à l’hôpital. L’hôpital n’a pas besoin de directeur de flux, de chargés de mission, d’expert en communication, et j’en passe. L’hôpital doit se recentrer sur les soins et ses missions envers les patients.
Et restaurons la confiance et la liberté. Aujourd’hui, la seule liberté du travailleur, c’est d’obéir. Normalisation, protocolisation, évaluation, tout problème se solde par le même schéma simplificateur : objectif, action, indicateur. Tout ceci sans conflit, sans doute, sans hésitation ! Le talent n’est plus une qualité. Il faut simplement avoir les éléments de langage et les bonnes postures ! Comment voulez-vous être performant et motivé ? Marie Curie n’a pas découvert la radioactivité avec des tableaux de bord !
Quels conseils pratiques donneriez-vous à ceux qui vivent actuellement des situations similaires de violence morale au travail, afin qu’ils puissent se rétablir et se reconnecter à eux-mêmes ?
- Je pense qu’il faut dire stop dès l’apparition des premiers agissements violents ; laisser faire, en pensant que cela va s’arrêter, que le travail est plus important, est une erreur. Pour ma part, j’ai laissé faire pendant 4 ans et la dernière confrontation encore plus violente que les autres, qui a conduit à la validation d’un accident de travail, m’a peut être sauvée. Fuir, parfois, c’est aussi avoir du courage. Je ne l’ai pas compris assez tôt.
- Ne pas rester seul, briser l’isolement le plus rapidement possible, se faire accompagner par des collègues, des proches.
- Ne pas sous-estimer les souffrances morales et physiques occasionnées par la violence subie. Non, cela ne va pas passer tout seul et en quinze jours… Il faut accepter les soins.
- Agir, alerter, faire reconnaître l’accident de travail, monter un dossier devant la justice, témoigner, dénoncer et ne pas culpabiliser. La peur doit changer de camp.
- La lecture a été pour moi une alliée considérable ; un livre à la main, je ne suis jamais seule. Camus, Baudelaire et d’autres m’ont suivie sur mes chemins de randonnée.
Entretien réalisé le 16 août 2023
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