Renaud Rodier nous parle de son Premier Roman ‘Les échappés’, publié aux éditions Anne Carrière.
Renaud Rodier est né à Paris. Il est un humanitaire, diplômé de Sciences Po Paris et de l’université Columbia de New York.
Sa passion pour l’humanitaire a pris naissance au Mexique et s’est ensuite développée en Colombie. Depuis, il parcourt le monde en collaborant avec les Nations unies et diverses ONG pour apporter une assistance aux personnes touchées par les conflits et les guerres.
« Les Échappés » marque ses débuts en tant que romancier.
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INTERVIEW
Quelle est l’histoire derrière l’inspiration de votre roman et comment elle s’est concrétisée d’une manière plus personnelle pour vous ?
L’histoire des Échappés est librement inspirée de mon propre parcours. Comme mes personnages principaux, j’ai longtemps cru pouvoir distancer les démons de mon enfance en m’exilant le plus loin possible de mon lieu de naissance. Cependant, le monde contemporain ne cesse de rétrécir.
L’un de mes protagonistes, Nathaniel, affirme que « le temps a sa propre géographie, une géographie étrange, qui nous rapproche de nos origines alors que nous marchons dans la direction opposée. »
Cela a été mon cas. C’est à l’autre bout du monde, en plein désert, que j’ai enfin trouvé la force de confronter mes fantômes.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées au cours de votre processus d’écriture et comment les avez-vous résolues ?
Une difficulté pratique, tout d’abord : trouver du temps pour écrire. Les exigences de l’écriture des Échappés se sont vite montrées irréconciliables avec celles de mon métier d’humanitaire. J’ai donc dû prendre une pause dans ma carrière pour me consacrer pleinement à ce projet.
Puis une autre, plus morale : résister à la tentation de formater Les Échappés pour correspondre aux critères du marché du livre. Faire primer leur histoire – leurs besoins – sur toute autre considération.
Cela peut sembler grandiloquent, mais écrire un texte qui vaut la peine d’être lu demande toujours une certaine dose de courage. J’ai puisé le mien dans l’amour de mes proches.
L’écriture a ses mystères. Quelle a été votre approche pour donner vie à votre roman ? Avez-vous suivi une routine spécifique ? Des moments d’inspiration inattendue ?
L’une de mes personnages, Lauren, une écrivaine réticente comme moi, détaille mon approche de l’écriture dans le chapitre Gordon Square. Elle évoque cette fameuse discipline de l’écrivain, en disant : « J’étais maintenant capable de passer cinq heures par jour devant mon ordinateur portable et, surtout, de ne pas l’éteindre quand l’inspiration ne me venait pas. Je crois que c’est ça – rester assise devant un écran blanc, coûte que coûte – qui a fait de moi une auteure, pas nécessairement douée, mais une écrivaine tout de même. »
Je me suis donc astreint à une routine immuable. Écrire cinq jours sur sept, de 9 heures à 15 heures. Comme Lauren, je préfère le faire dans des lieux publics, des cafés, des parcs. « Un peu de mouvement dans ma vision périphérique suffisait pour rompre ce face-à-face, établir un dialogue avec le monde, universaliser mes spécificités en les travestissant, ce qui n’était pas si difficile puisqu’il n’y a rien de plus universel que l’intime. »
Il y a une certaine mythologie autour des moments d’inspiration, ces eurêka ! Ce que je préfère souligner est le fait que certains des meilleurs passages des Échappés, dont le chapitre que je viens de mentionner, ont été écrits lors de pannes d’inspiration. Ces jours interminables où chaque mot, chaque virgule, nous coûte.
Pour moi, ce qui compte, c’est la vérité d’un texte. Lauren le dit encore une fois mieux que moi : « Ma seule conviction était que je devais souffrir pour que quelque chose advienne ; me couper avec le tranchant effilé d’une feuille pour extirper de moi ces zones d’ombre que mon cutter n’avait fait qu’égratigner. Écrire relevait d’une opération chirurgicale, d’une extraction d’organe, plus que d’une catharsis. »
Les personnages de votre livre sont très complexes, et c’est génial. Y a-t-il un personnage en particulier avec lequel vous vous sentez le plus connecté personnellement ?
Chacun des personnages des Échappés puise dans mon vécu, reflète un élément de mon parcours, un aspect de ma personnalité. Cependant, j’ai une affection toute particulière pour un personnage secondaire, Kip, un gamin esquinté à qui l’on a toujours enjoint « d’être un homme », sans jamais lui apprendre comment.
C’est grâce à Kip que j’ai pu confesser, de manière détournée, certaines souffrances de mon enfance. « Mes parents n’étaient pas des salauds. Ce serait trop facile de croire ça. C’est juste que quand les rêves tombent de haut, ils écrasent tout sur leur passage. »
Les écrivains apportent souvent leur propre vision du monde. En quoi votre expérience personnelle a-t-elle teinté les thèmes politiques ou sociaux de ce livre ?
J’ai consacré vingt ans de ma vie à l’humanitaire, avec des missions aux quatre coins du monde, souvent dans des zones de guerre.
Ce métier m’a exposé au pire de ce que l’homme peut infliger à ses semblables, mais aussi au meilleur de l’humanité : une bonté courageuse, résistante, obstinée, que même les plus acharnés des génocidaires ne pourront jamais complètement éradiquer. Au final, c’est cette bonté que je préfère retenir. Je garde une foi inébranlable en la capacité des êtres humains à dépasser leur condition.
La littérature et l’humanitaire, des professions en apparence distinctes mais en réalité complémentaires, me permettent, à ma modeste échelle, de restaurer ce qui est endommagé en mettant en valeur les fissures plutôt qu’en les occultant, inspiré par l’art réparateur du kintsugi.
L’impact du passé sur nos vies et la tendance à répéter des schémas observés dans nos histoires familiales ou sociétales sont au cœur du livre. Quel message souhaitez-vous transmettre par cette exploration ?
Qu’il est futile de chercher à distancer ses démons.Ils vous rattrapent un jour ou l’autre. Pour vraiment s’en libérer, il faut savoir les embrasser. Je ne parle pas de pardon, mais d’accepter que ceux qui nous ont fait du mal font partie de nous. On leur doit les fruits de notre souffrance. Revient à nous la responsabilité que ces fruits soient doux, plutôt qu’amers.
Un libraire qui a fait une recension de mon livre exprime mieux que moi son ambition : « Et parfois, peu à peu, le passé devient transparence et il est à nouveau possible d’exister au présent … »
Comment avez-vous géré l’équilibre entre la complexité de l’intrigue et la profondeur émotionnelle des personnages ?
Je ne crois pas avoir géré quoi que ce soit. Comme le dit Lauren dans le chapitre Gordon Square : « Je me suis lancée dans l’écriture de ces manuscrits sans thème prédéfini, ni propos à défendre, sans même esquisser leurs personnages. Les plans détaillés m’effrayaient, me déprimaient, m’oppressaient. Je voulais me rapprocher au plus de la vie et partir d’une page blanche, puis tracer et tordre des arcs narratifs sur la base de vagues intuitions, jusqu’à me noyer dans les marais de mes incertitudes, chuter de mes hauteurs, suffoquer dans les miasmes de mes humeurs. »
J’ai laissé cette histoire se développer de manière organique, sans lui imposer de contraintes. Mes personnages se sont libérés de moi très tôt dans ce processus. Je n’ai fait qu’observer leurs pérégrinations, et les décrire du mieux de mes capacités.
Certains écrivains considèrent l’écriture comme une forme de musique. Comment avez-vous joué avec la musicalité des mots pour créer un rythme ou une cadence spécifique dans votre roman ?
Ce roman doit beaucoup à la musique que j’ai écoutée lors de son écriture. Mon rituel d’écrivain implique de choisir un morceau pour chaque chapitre, qui imprègnera son atmosphère ; de la musique classique, du rock, du rap, de l’électro – mes goûts sont éclectiques.
J’écoute cette composition de manière répétitive, des centaines de fois s’il le faut, jusqu’à atteindre une forme d’hypnose, de transcendance et m’oublier totalement. Le rythme de chaque passage est dicté par la musique que j’écoutais alors.
J’ai aussi pour discipline de toujours lire mes phrases à voix haute, comme l’on déclame un poème, pour m’assurer que la cadence – souvent tertiaire – est juste.
Mon chapitre favori évoque d’ailleurs cette dépendance – et cette dette – à la musique : « Je m’étais égaré sans me sentir perdu. Je ne cherchais rien et mes compagnons de fortune avaient eux aussi abandonné leur chasse au trésor. Pink Floyd avait cédé sa place à Led Zeppelin, au craquement qu’émet la voix de Robert Plant lorsqu’il s’aperçoit que cette femme qu’il aimait tant n’a jamais existé. »
Entretien réalisé le 13 Janvier 2024.
J’ai aime’ beaucop cet entretien et j’ai pris la decision de lire le livre e j’ espere de pouvoir le lire en italien, mais si ca c’est pas possible j’espere de pouvoir le trouser en francais.