Cécilia Dutter nous parle de son nouveau livre Aimer d’un cœur de femme, publié aux Éditions du Cerf.
Romancière et essayiste française, Cécilia Dutter anime l’émission « Écoute dans la nuit » sur Radio Notre-Dame en co-diffusion nationale avec RCF et donne une chronique régulière dans le cahier central « Les essentiels » de l’hebdomadaire La Vie.
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INTERVIEW
Comment est né ce livre ? Quelles ont été les étapes marquantes de sa réalisation ?
Dans « L’Amoureuse, le roman de Marie-Madeleine » (Tallandier, 2021), finaliste du Grand Prix Méditerranéen de Littérature et Spiritualité Mare Nostrum, mon précédent ouvrage, je retraçais l’itinéraire de libération intérieure et d’élévation spirituelle de la figure évangélique de Marie-Madeleine.
Avec le recul, cette dernière m’est apparue indissociable de celle, centrale, de la Vierge Marie, pourtant, a priori, en tous points son contraire. Selon moi, la Bible nous donne à méditer les tempéraments opposés de ces deux femmes, en miroir inversé, mais aussi la destinée de deux sœurs en humanité, dont les mystères respectifs s’éclairent au regard de leur lien singulier au Fils incarné.
L’une met au monde le Messie, l’autre sera la première à qui il apparaîtra au jour de sa résurrection, missionnée pour aller porter la Bonne Nouvelle.
L’une est la mère, l’autre, l’amie et disciple du Dieu vivant. Chacune joue un rôle essentiel, accompagnant Jésus dans son ministère, de façon différente et complémentaire, mais avec une même tendresse inconditionnelle.
Leurs routes se rejoignent au pied de la Croix, point d’intersection, lieu et moment emblématiques où, à l’acmé de la souffrance de Jésus, elles s’unissent et communient dans l’amour qu’elles lui vouent. D’où l’idée, peu traitée jusqu’à présent, d’un essai autour de ces deux femmes emblématiques, non pas étudiées séparément, mais l’une en regard de l’autre.
Dans cet essai-méditation, écrit sous forme d’adresses tantôt à Marie, tantôt à Marie-Madeleine, j’ai souhaité « parler », avec ma perception de femme, de mère et de croyante moderne à ces deux somptueuses figures bibliques féminines qui ont tant de choses à dire à notre modernité.
Votre écriture est imprégnée de philosophie. Est-ce que certains courants philosophiques influencent votre travail d’écrivain ou votre perception du monde?
Je puise à la philosophie, bien sûr, mais je dirais que ce qui me nourrit depuis toujours, ce sont les grands penseurs chrétiens (Saint-Augustin, Saint François d’Assise, Thérèse d’Avila, Maître Eckhart, Thomas A. Kempis ou, plus près de nous, Edith Stein, Thérèse de Lisieux, Madeleine Delbrêl…) et d’autres mystiques comme Etty Hillesum ou de grands maîtres orientaux comme Swami Prajnanpad et Jiddu Krisnamurti.
Parlez-nous de vous. Qui est Cécilia Dutter ?
Romancière et essayiste, je suis l’autrice d’une vingtaine d’ouvrages parmi lesquels, Lame de fond, (Albin Michel, 2012), lauréat du Prix Charles Oulmont de la Fondation de France, À toi, ma fille, La loi du père, ou encore, Flannery O’Connor, Dieu et les gallinacées, parus tous trois aux éditions du Cerf.
J’ai consacré trois ouvrages à la figure spirituelle d’Etty Hillesum dont Vivre libre avec Etty Hillesum, (Tallandier, 2018), couronné du Prix Louis Marin de l’Association des Écrivains Combattants, et je suis présidente de l’Association reconnue d’utilité publique Les Amis d’Etty Hillesum.
Je suis aussi animatrice de l’émission « Écoute dans la nuit » sur Radio Notre-Dame en co-diffusion nationale avec RCF et je donne une chronique spirituelle régulière dans « Les essentiels », cahier central de l’hebdomadaire La Vie.
Enfin, je suis présidente du Prix littéraire Charles Oulmont de la Fondation de France et Vice-présidente du Prix des Romancières. Site : https://www.cecilia-dutter.fr
Qu’est-ce qui vous a amené à réfléchir sur la foi et sur Dieu?
Bien que baptisée, je n’ai pas été élevée dans la foi chrétienne. Mon père, catholique, n’était pas pratiquant et semblait peu intéressé par la question de Dieu. Ma mère était juive et athée.
Pourtant, du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours été en quête sur le plan spirituel. Très jeune, j’ai demandé à suivre le catéchisme à l’école mais, à l’heure de la première communion, alors que mes camarades s’y préparaient, sentant, pour ma part, qu’il s’agissait d’un engagement très important, j’ai préféré attendre.
Durant mes années d’adolescence, j’ai continué à cheminer par moi-même, en lisant la Bible, les Évangiles, les grands penseurs chrétiens mais aussi le Tao ainsi que des ouvrages issus des Sagesses orientales. J’allais alors régulièrement à la messe en solo. Ce n’est qu’à l’âge de 20 ans, après avoir fait partie quelques temps d’un groupe de prière chrétien et suivi une préparation avec un prêtre formidable que, désormais sûre de mon choix, j’ai fait ma première communion. Depuis lors, je marche « main dans la main » avec le Christ.
Je vois mon travail littéraire – romans ou essais – comme un prolongement de ma foi. On ne peut écrire sans être profondément sincère. Or, la foi est le prisme par lequel je lis l’existence. Au-delà de la religion, à travers de grandes figures bibliques ou d’autres figures spirituelles comme celle d’Etty Hillesum, je cherche surtout à montrer que le réel ne se limite pas à la simple dimension matérielle du monde et à dévoiler la réalité invisible et sacrée qui se loge en toute chose.
Avec ce livre, je découvre que Marie-Madeleine revêt, en fait, trois visages féminins qui traversent l’Évangile. Autour de moi, les gens confessent souvent l’ignorer. Comment l’expliquez-vous ?
La tradition occidentale la plus ancienne de l’Église, relayée depuis des siècles par la piété populaire, unifie, en effet, en Marie-Madeleine trois figures féminines traversant l’Évangile : la pécheresse pardonnée anonyme (Lc 7, 37+), d’une part, Marie de Béthanie, la sœur de Marthe et Lazare ainsi que l’amie de Jésus (Mt 26, 6+ ; Mc 14, 3+ ; Jn 12, 1+ ; Lc 10, 38+ ; Jn 11), d’autre part et, enfin, la célèbre Marie de Magdala, femme libérée de sept démons, présente au pied de la Croix et premier témoin de la Résurrection (Lc 8, 2 ; Jn 20, 1 +).
Bien que cette unification ait été parfois critiquée par des courants d’exégèse modernes, l’identification de ces trois femmes au personnage de Marie-Madeleine lui confère une personnalité infiniment riche et inspirante que la différenciation ne permet pas de mettre en lumière.
À mes yeux, ces trois visages qui n’en font qu’un illustrent les étapes successives du fabuleux parcours d’élévation emprunté par cette femme et la façon dont sa féminité se libère au fur et à mesure de sa trajectoire ascendante.
En appréhendant successivement les trois dimensions de l’amour – la pécheresse expérimentera l’éros dans sa course à la séduction, Marie de Béthanie, la philia, grâce à la superbe amitié qu’elle va nouer avec Jésus, puis Marie de Magdala ouvrira son cœur à l’agapè, l’amour universel transcendant, en portant le message christique – cette figure évangélique apprendra à se réconcilier avec elle-même et à trouver son total accomplissement dans l’union avec Dieu.
C’est donc cette interprétation théologique que j’ai suivie pour écrire mon essai car elle conforte en tous points ma vision du personnage et de son envolée spirituelle.
Quelles sont, selon vous, les principales leçons que les femmes d’aujourd’hui, et même les hommes, peuvent tirer de l’histoire et des enseignements de Marie et Marie-Madeleine ?
Dans cet essai, j’ai souhaité mettre en lumière combien ces deux figures évangéliques – que l’on peut voir comme des figures de foi, si l’on est croyant, ou comme de grands archétypes féminins, si l’on est athée – font écho aux enjeux sociétaux actuels : à l’heure de la redéfinition du masculin et du féminin, Marie nous parle de la place de la maternité dans nos sociétés modernes et du savoir inestimable que cette expérience confère aux femmes, à qui elle ouvre un nouveau regard sur elles-mêmes, l’autre et le monde.
Marie et Marie-Madeleine interrogent aussi les mots « liberté » et « désir » : dans une société séculière où la question de la transcendance ne se pose plus pour nombre de gens, la liberté est-elle celle de suivre ma propre loi et de vivre dans l’illusion d’une maîtrise totale de mon existence ou réside-t-elle dans une soumission consentie, et un abandon, à une loi plus grande que moi, celle de la Vie majuscule, qui traverse ma trajectoire terrestre, mais dont le cours, infini, ne se limite pas à mon parcours individuel ?
Le personnage de Marie-Madeleine, avant sa conversion, permet également d’évoquer, dans cet ouvrage, la course à la séduction dans laquelle beaucoup d’entre nous sont lancés, notamment sur les réseaux sociaux, et du vaste « marché sexuel » qui en résulte.
De même, ces deux figures, à travers la relation qu’elles entretiennent avec Jésus, invitent à interroger l’identité de genre, l’égalité et la complémentarité des sexes. Ces sujets brûlants d’actualité, que questionnent les hommes et femmes d’aujourd’hui, l’Évangile, il y a plus de 2000 ans, les traitait déjà avec infiniment de justesse.
J’ai souhaité mettre en lumière combien, loin d’être dépassées, Marie et Marie-Madeleine célèbrent une féminité libre et accomplie, qui affirme avec force la primauté de l’amour sur toute chose. Leurs parcours, leurs choix, leurs évolutions respectives ainsi que la façon dont elles communient en « Un plus grand », par leur foi en Jésus, sont à même d’inspirer tous les quêteurs de sens contemporains. Elles sont, pour moi, des guides pour l’humanité.
L’essai propose un retour à une sagesse biblique ancestrale qui pourrait servir de phare ou, à tout le moins, de pistes de réflexion, dans un monde en perte de repères.
Parlez-nous de l’association Les Amis d’Etty Hillesum. Qui est Etty Hillesum et à quoi sert cette association?
L’Association a été créée il y a une dizaine d’années par Jean-Pierre Nave dans le but de faire connaître les écrits d’Etty Hillesum au plus grand nombre. Cette jeune femme juive néerlandaise a laissé un journal et une correspondance écrite de 1941 à 1943, tandis que les Pays-Bas étaient occupés par l’ennemi nazi, témoignant d’un parcours spirituel fulgurant et d’une résistance intérieure exceptionnelle au sein des ténèbres de la Shoah.
Assassinée à Auschwitz le 30 novembre 1943, elle laisse un corpus textuels riche d’enseignements. Son message de paix et sa spiritualité lumineuse et universelle font écho à la quête de sens contemporaine.
À la mort de son fondateur, en 2016, j’ai repris la présidence de l’Association. Depuis lors, elle compte environ 800 adhérents. Le siège est à Paris et nous avons deux antennes en régions (Antenne de Lyon dirigée par Claire Le Poulichet et Antenne d’Amiens, dirigée par Gabriel Campagne).
Chaque année, nous organisons une Journée de réflexion à Paris, sous forme de colloque, durant laquelle nous étudions un angle spécifique du parcours et de la spiritualité d’Etty Hillesum. Des Journées d’Amitié autour d’Etty Hillesum sont régulièrement données en régions pour diffuser son message et des groupes de lecture de ses écrits ont également été mis en place.
Le site www.amisdettyhillesum.com est le site de référence sur cette figure spirituelle en France : on y trouve la biographie détaillée d’Etty Hillesum et tout ce qui a trait à ses écrits : livres, conférences, pièces de théâtre, lectures publiques, émissions de radio, documentaires… etc.
Je donne, pour ma part, de nombreuses conférences sur son parcours et j’anime des retraites spirituelles ou sessions de formation autour de ses enseignements en France, Suisse et Belgique.
Entretien réalisé le 10 février 2024.
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